Changer le monde ou changer l'image des maîtres du monde ?


A propos de l'accord conclu à la "COP 21"

"Vive la planète, vie l'humanité, vie la vie !", s'exaltait Laurent Fabius, au terme de la Conférence mondiale sur le climat, la fameuse COP 21 de Paris. Et François Hollande faisait écho à son ministre des Affaires étrangères : "l'Histoire arrive, l'Histoire est là". Certes, l'Histoire est là -mais elle est toujours là, l'Histoire. Quant au jugement qu'elle portera sur le "jour historique" de la signature de l'accord sur le climat, il devra tenir compte de la concrétisation (ou non) des bonnes intentions, des belles promesses et des grands objectifs contenus dans les 39 pages et les 29 articles du texte. On s'est donc mis d'accord sur la nécessité de plafonner le plus vite possible les émissions de gaz à effet de serre, de telle manière que le réchauffement global de la planète ne dépasse pas 2°, et si possible 1,5°. Mais le calendrier, les dates, les échéances sont dans le flou, et l'accord ne souffle mot des principaux responsables de la dégradation climatique à laquelle il entend mettre fin : l'utilisation des énergies fossiles, l'agriculture intensive, l'élevage industriel, le trafic aérien, le trafic maritime... "il est rare dans une vie d'avoir l'occasion de changer le monde", a ponctué François Hollande... l'a-t-on vraiment saisie, à Paris, en décembre, cette occasion de changer le monde, ou l'a-t-on ratée pour ne changer que l'image des maîtres du monde ?

"le début d'une extraordinaire ambition ou la fin d'une ultime mystification" ?
   
Nicolas Hulot,  qui fut l'une des chevilles ouvrières de la conférence mondiale sur le climat (COP 21), à Paris, en décembre, est dans une prudente expectative quant à son résultat : "L'avenir dira si c'est le début d'une extraordinaire ambition ou la fin d'une ultime mystification". Ce pourrait être les deux à la fois -mais l'ambition et la mystification ne tenaient pas conférence au même endroit : la conférence n'était pas seulement une conférence de chefs d'Etat et de gouvernements. C'était aussi un forum mondial de représentants de 130 ONG et de militants de terrain, rassemblés par la "Coordination Climat" dans un "sommet citoyen pour le climat", à Montreuil, place Jean-Jaurès... et des représentants de multinationales, venus vanter leurs "solutions" pour lutter contre le dérèglement climatique... sans remettre en cause les fondements de l'économie -autrement dit, sans remettre en cause leurs profits. Certaines de ces entreprises (Ikea, Carrefour, Engie) ont financé la COP 21. Une centaine d'autres (dont Dell et Sony) se sont engagées à se doter d'objectifs chiffrés de réduction de leurs émissions de gaz à effets de serre, Google a annoncé vouloir tripler sa consommation d'énergies renouvelables en réduisant celle d'énergies fossiles, et vouloir atteindre en 2025 l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables. Or 80 multinationales sont à elles seules responsables des deux tiers du réchauffement climatique...

Les ONG ont vu dans le soutien de multinationales à la COP 21, une opération de marketing (de "verdissement de l'image des multinationales", selon Attac) doublée d'une opération de trafic d'influence. Certaines contradictions, en effet, sont criantes : Sponsor officiel de la COP 21, EDF exploite des centrales à charbon au bilan environnemental particulièrement désastreux.  Les "géants de l'économie" n'en ont pas moins exigé de la conférence qu'elle définisse des objectifs clairs, et des directives universelles, en promettant de les suivre. Mais l'expérience, là, enseigne la prudence : les directives sur la réduction des émissions de particules fines par les moteurs des voitures sont claires, mais plutôt que les respecter, VW a préféré truquer ses moteurs... et certaines multinationales, notamment dans le secteur pétrolier (Exxon-Mobil, par exemple), ont tout fait, y compris payer des "recherches" dont le "résultat" (la négation du changement) était donné avant qu'elles débutent : nier le dérèglement climatique lui-même ou, à défaut, l'impact des multinationales, et la responsabilité du modèle économique qu'elles pilotent, dans ce dérèglement.

Les Etats qui seront signataires de l'accord élaboré lors de la COP21, les multinationales qui ont fait mine d'applaudir à cet accord, et les forces politiques et sociales qui le soutiendront (ou en feront mine) adhèrent à un objectif d'"économie verte". Mais cette économie verdie restera fondée sur les mêmes règles (celles du profit, de la croissance, des prélèvements sur l'environnement), et sur le même modèle que l'économie dominante  actuelle : celui de l'agriculture industrielle. D'ailleurs, la COP21 a, sur pression des multinationales, exclu de ses débats la question de l'agriculture industrielle (qui produit pourtant la moitié des émissions de gaz à effet de serre du fait de son conditionnement sous plastique et du transport de ses produits d'un continent à l'autre).

Comme le rappelle la Fédération internationale des droits de l'Homme "si l'enjeu (de la COP 21) est écologique, il est avant tout humain" : Les catastrophes naturelles, les conflits liés à la course aux ressources naturelles, mais également l’épuisement des ressources vitales ont des conséquences, directes ou indirectes, sur le droit à la santé, le droit à l’eau, le droit à l’alimentation, le droit au logement, le droit à la vie. Et ce sont les personnes les plus vulnérables qui sont les plus touchées : populations vivant dans des situations précaires ou d’extrême pauvreté, femmes, jeunes, personnes âgées, peuples autochtones, minorités. Le paradoxe est alarmant : ceux qui contribuent le moins au réchauffement climatique sont ceux qui en souffrent et en souffriront le plus. La FIDH dénonce en particulier le sort réservé aux milliers de défenseurs des droits à la terre qui, sur tous les continents, luttent contre le saccage de leurs terres, contre les expropriations forcées, contre la pollution des sols et des eaux -toutes réalités liées à l'industrialisation de l'agriculture. Ce combat contre un mode de production qui contribue puissamment au réchauffement climatique, ces résistants le mènent le plus souvent face à des entreprises prêtes à se mettre hors la loi, et face à des États corrompus par ces entreprises. Les risques qu’encourent ces résistants au pillage sont très élevés : menace, arrestation, harcèlement judiciaire, agression, assassinat. Et 95% des violations commises à leur encontre restent impunies.

Les multinationales peuvent applaudir à l'accord qui a clos la COP 21 : en l'absence de dispositions contraignantes, de sanctions, de calendrier précis, il leur est indolore. Et les mêmes qui sont victimes du réchauffement climatique le seront d'une "économie verte" pilotée par les multinationales de l'énergie et de l'alimentation. A moins que, face au réchauffement climatique, à ses effets et à ses responsables, un autre réchauffement
se fasse : celui des luttes, au nom des victimes d'un modèle économique que l'accord de Paris se garde bien de contester...
Mais le pouvait-il seulement, compte tenu de qui devait le signer ?

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