Il y a un an, le carnage de "Charlie Hebdo" : qu'en avons-nous appris ?



Le ventre est encore fécond...


"Charlie Hebdo" sort aujourd'hui un numéro rendant hommage, et mémoire, à ceux qui sont tombés il y a un an sous les balles pour avoir pris, en pleine connaissance du risque qu'ils prenaient, la liberté de dire, d'écrire, de dessiner ce qu'ils avaient envie ou besoin de dire, d'écrire et de dessiner, sans autre autorisation à demander que celle qu'ils pouvaient s'accorder à eux-mêmes. On redira donc, avec les mêmes mots ou d'autres mots, ce qu'on disait déjà il y a un an, puisque le ventre est encore fécond d'où ont surgi les Kouachi et Koulibaly : J'ai, comme toutes et tous l'ont, partout, le droit de tout dire, de tout écrire, j'aurais celui de tout dessiner si je savais dessiner.  Vous me niez ces droits ? Je vous emmerde !


A la fin, c'est forcément Khayyam qui gagnera.


Le 11 janvier de l'année dernière, à Paris, quatre jours après le carnage de "Charlie Hebdo", quatre millions de personnes (on tiendra pour des figurants les chefs d'Etat et de gouvernements qui accompagnaient cette foule) étaient descendues dans la rue. Caroline Fourest se souvient d'une foule "d'une douceur et d'une tendresse que je n'avais jamais ressentie". Non une foule en colère contre les assassins, mais une foule s'identifiant aux victimes. On n'était pas à Paris, mais dans nos manifs locales, parce que, sans même les connaître autrement que par leurs dessins, on avait grandi avec Cabu et Wolinski et qu'en les perdant, on avait perdu des copains d'enfance, des copains de cinquante ans assassinés par des crétins décérébrés transformés en moulins à prière et en machines à tuer.  On était là, aussi, pour dire cette chose toute simple, pour laquelle Cabu, Wolinski, Charb et les autres, avaient été massacrés : la liberté n'est pas un mot mais une pratique; elle ne réside pas dans les constitutions, les lois, les conventions internationales, mais dans l'action des individus à qui on fait au moins mine de la concéder...
Ce n'est pas de liberté de conscience dont il s'agit : nos copains d'enfance n'ont pas été butés pour ce qu'ils pensaient, mais pour l'avoir écrit, dessiné, publié; s'ils étaient restés chez eux, entre eux, à déconner en cassant du sucre sur les curés, les imams, les rabbins et les gouvernants, ils seraient toujours vivants. Ils sont morts d'avoir exercé leur liberté et de l'avoir partagée, au lieu que se la garder pour eux. Ils ont payé de leur vie une liberté qui est source de toutes les autres. Et qui, pour cette raison, est la première cible de tous ceux que l'idée même de liberté révulse. Les nazis brûlaient des livres, les inquisiteurs des philosophes, les djihadistes assassinent des dessinateurs, tout se tient.


Pour que Cabu, Wolinski, Charb, Bernard Maris et tous les autres ne soient pas « morts pour rien », il n'y a qu'une réponse à donner à leurs massacreurs et à ceux qui les prendront comme exemple : continuer à dire, à écrire, à dessiner, à publier, à dire ce qu'on pense, comme on le pense. Si l'exercice de la liberté est dangereux, c'est précisément qu'il est précieux.  Si on peut rire des hommes, on peut rire de leurs dieux; si des croyants peuvent insulter des incroyants, les incroyants peuvent rire des croyances. Si on peut représenter des philosophes, on peut représenter des prophètes. C'est à celui qui veut rire, et à personne d'autre, qu'appartient la liberté de rire, ou de ne pas rire.

Les assassins de dessinateurs, de journalistes, de poètes, ne sont jamais du côté des faibles, des exploités, des dominés. Du côté des faibles, des exploités, des dominés, on trouve les assassinés, pas les assassins. Les caricaturistes du Prophète, pas les djihadistes. Les blasphémateurs, pas les inquisiteurs. Cabu, Wolinski, Charb, Oncle Bernard -pas les Kouachi.


Il y avait deux hommes, il y a mille ans, en Perse. L'un aimait la vie, l'amour, le vin. Il s'appelait Omar Khayyam. L'autre aimait Dieu et attendait la Grande résurrection. Il s'appelait Hassan Sabbah. Omar Khayyam écrivit des poèmes. On les lit toujours. Hassan Sabbah créa la Secte des Assassins. Ils ont des héritiers. Mais à la fin, c'est Khayyam qui gagnera. Forcément.

O toi qui te crois sage, ne blâme pas ceux qui s'enivrent
Laisse de côté l'orgueil et l'imposture
Pur goûter le calme triomphant et la paix
Incline-toi vers ceux qu'on humilie, vers les plus vils.
(Omar Khayyâm, Quatrain III)

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