Lutter contre la spéculation sur les denrées alimentaires : Première nécessité oblige


   

Dans le menu de goinfres qui nous est proposé pour les votations fédérales, cantonales, municipales du 28 février prochain (14 objets à Genève, par exemple : on vous laisse calculer vous-mêmes le nombre de combinaisons possibles à partir des trois mots d'ordre possible pour chacun d'entre eux -oui, non, blanc...), il y en a un qu'on aurait tort d'oublier : l'initiative socialiste (plus précisément : de la Jeunesse Socialiste) contre la spéculation sur les denrées alimentaires. Elle propose l'interdiction à tout agent financier privé ou public d'investir sur le marché des matières premières et des denrées agricoles et mandate la Confédération pour qu'elle s'engage à lutter contre une spéculation sur des biens qui, plus que tout autres, méritent d'être qualifiés de bien de "première nécessité" (celle de la survie).



"Quand la conscience pourrit, l'idéologie suinte" (Raoul Vaneigem)



Une sourde inquiétude pointe le bout de son mufle dans le secteur du négoce alimentaire et nourrit une prudente espérance à gauche : selon un sondage effectué le 12 janvier, l'initiative de la Jeunesse socialiste contre la spéculation sur les denrées alimentaires ne serait refusée par le peuple qu à raison de 48 % de "non" contre 39 % de "oui", moyennant 13 % d'indécis. Un écart de neuf points, bien moindre que ne l'espéraient les adversaires de l'initiative, et le craignaient ses partisans.
Les adversaires de l'initiative attendent si fort que le peuple souverain lui réserve un enterrement de première classe, comme à une autre initiative de la Jeunesse Socialiste, la "1:12", que nul n'a même imaginé envisager une loi d'application. Les spéculateurs sont "une cible trop facile", geint "Le Temps", qui voit en la proposition socialiste "un petit chef d’œuvre de moralisme protestant", à quoi il oppose en guise d'argumentaire un autre "petit chef d’œuvre", mais de cynisme financier, très orthodoxe, lui... Ainsi, il serait "trop facile" de s'attaquer aux spéculateurs en Suisse, alors que la Suisse les choie, "liberté du commerce" oblige ?


L'initiative de la Jeunesse Socialiste n'est pourtant pas si "extrémiste" que ses adversaires la dépeignent : elle prend bien soin de ne frapper précisément que la spéculation, et pas le commerce direct, ni les transactions sur le marché réel, ni l'utilisation de produits financiers dérivés pour couvrir le risque de baisse des prix.

L'initiative, si elle était acceptée, ne s'appliquerait certes qu'à la Suisse (comme toute initiative populaire, d'ailleurs) -mais notre beau, moral et pacifique pays (et Genève, tout particulièrement) joue  un rôle considérable sur le marché des denrées alimentaires, ne serait-ce qu'en abritant des entreprises, des courtiers en matière première et des investisseurs qui, ensemble, "font la loi" sur ce marché. Le Centre patronal vaudois, d'ailleurs, le reconnaît (en appelant évidemment à combattre l'initiative socialiste), et proclame l'"utilité" d'une "spéculation bien comprise", même sur la nourriture des humains. Et la faim de centaines de millions d'entre eux. Le contester serait sans doute faire preuve de ce "moralisme protestant" que "Le Temps" voit à l’œuvre dans l'initiative (comme si le protestantisme condamnait la spéculation, alors qu'il est, idéologiquement, à la source du capitalisme...). Les spéculateurs "apportent de la liquidité" résume le patron d'Ecom Agroindustrial, négociant en café, coton, cacao et sucre, qui, lui au moins, ne panique pas à l'idée que l'initiative puisse être acceptée : "En 170 ans d'existence, Agroindujstrial a toujours su s'adapter aux conditions. Il n'y a aucune raison que cela change". D'autres en revanche annoncent l'apocalypse en cas de "oui" : départ des entreprise de négoce agro-alimentaire, licenciements massifs, énormes pertes fiscales... la routine de l'argumentaire patronal face aux initiatives, d'où qu'elles viennent (de Minder, apparenté UDC, ou de la JS), qui osent contester la toute-puissance de "l'économie"...



"Quand la conscience pourrit, l'idéologie suinte", écrivait Raoul Vaneigem, au temps de l'Internationale Situationniste. Et là, dans l'argumentaire des opposants à l'initiative socialiste, ce suint est une averse. 

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