Mort d'un Juste : Hocine Aït Ahmed, Presente !

L'homme qui est décédé le 23 décembre à Lausanne était un Juste. Un résistant irréductible à l'oppression et à l'injustice. Un combattant inlassable contre le colonialisme, et contre le vol d'une révolution et d'une libération par la bureaucratie d'un parti unique et d'un syndicat unique, par une armée et une police politique. Cet opposant constant ne l'était que parce qu'étaient constants les maux qu'il dénonçait et les crimes commis au nom des espérances trahies. Hocine Aït Ahmed a été inhumé dans son  village natal de Haute Kabylie, aujourd'hui. On aurait voulu y être. Nos camarades latinos ont tradition, lorsque l'un des leurs disparaît, de lui rendre hommage et de le saluer en l'annonçant "presente !". Salvador Allende, presente ! Pablo Neruda, presente !
Hocine Aït Ahmed, presente !

"Quoique que dise la vieille espérance, forçons les portes du doute" (Kateb Yacine)

Le président Bouteflika a décrété un deuil national de huit jours, dès le 25 décembre, dans toute l'Algérie, en l'honneur de Hocine Aït Ahmed, décédé à Lausanne le 23 décembre. Etrange et tardif hommage, que ce deuil national, comme pour un ancien chef de l'Etat, pour un homme qui n'a cessé, toute sa vie, d'être un opposant -d'abord au régime colonial français, puis au régime de l'Algérie indépendante, confiscatoire des espérances d'une révolution dont Hocine Aït Ahmed fut l'un des dirigeants sans jamais être l'un des fossoyeurs, en étant de tous les combats pour une Algérie libre et démocratique. Il n'avait pas vingt ans lorsqu'il s'engagea dans le Parti du Peuple Algérien de Messali Hadj, dont il devint l'un des chefs de son "Organisation spéciale". Il fut l'un des chefs du Comité révolutionnaire d'unité et d'action qui déclencha le premier novembre 1954 l'insurrection qui allait amener, après huit ans de guerre, l'Algérie à l'indépendance. Il fut l'un, et le dernier survivant, des neuf "chefs historiques" du Front de libération Nationale, son représentant à l'ONU et à la conférence des non-alignés, à Bandoeng, en avril 1955. Capturé par les Français à la faveur d'un détournement d'avion en 1956, il sera emprisonné pendant six ans, et ne retrouvera l'Algérie qu'à la signature du cessez-le-feu de 1962. Mais l'Algérie qu'il retrouve, si elle a conquis son indépendance, n'a pas conquis la liberté des Algériens et des Algériennes : quand le FLN s'impose comme parti unique, Aït Ahmed dénonce son "régime policier socialo-mystificateur" et un parti devenu une "fiction". Il fonde le Front des Forces Socialistes (FFS), le 28 septembre 1963 à Tizi-Ouzou, et dénonce la prise du pouvoir par la force militaire, policière et bureaucratique. Le FFS prend les armes en Kabylie en 1963. L'insurrection est écrasée, Hocine Aït Ahmed se constitue prisonnier et est condamné à mort en 1964. Il est gracié, mais mis dans une même prison (celle de Barberousse) où les Français jetaient et torturaient les militants et les combattants pour l'indépendance. Il s'en évade en 1966, se réfugie en Suisse, y obtient l'asile politique, et y continue le combat pour la démocratie et les libertés en Algérie, où le coup d'Etat militaire de Boumedienne a "remplacé une dictature politique par une dictature militaire", puis policière.  Hocine Aït Ahmed ne reviendra en Algérie qu'après que les émeutes populaires de 1988 aient forcé le régime à une ouverture politique, impliquant le multipartisme, mais si mal conçue, et sur fonds d'une si grande colère populaire, qu'elle aboutira à une victoire électorale écrasante des islamistes du FIS au premier tour des élections législatives -ce qui conduira un régime paniqué à recourir à un coup de force politico-militaire, annulant les élections, rejetant le FIS dans l'illégalité, puis la clandestinité, puis le recours à la violence armée -une violence de plus en plus délirante, à laquelle répondra une répression se mettant à son niveau -et dix ans de guerre civile feront près de 200'000 morts et disparus. Dans ce déchaînement de massacres, d'attentats, de provocations, Hocine Aït Ahmed s'en tient, et y fait tenir son parti, à un double refus : "ni Etat policier, ni Etat intégriste" : non pas une opposition systématique et butée, mais la recherche d'une solution politique, constitutionnelle, démocratique : "nous sommes pour le compromis, non pour la compromission". Mais ni les islamistes, ni le pouvoir ne veulent d'un "compromis démocratique" : les premiers seront vaincus militairement, mais après une "décennie de sang" l'Algérie entrera dans une "décennie de prédation".

Que le Front des Forces Socialistes reste fidèle aux principes qui avaient justifié sa fondation et qui animaient son fondateur, alors lui-même survivra, comme ce combattant de l'indépendance nationale et de la démocratie, refusant de renoncer à l'une ou l'autre pour l'autre ou l'une, puisque "le patriotisme, aujourd'hui, c'est la démocratie" .
« Quoique que dise la vieille espérance, forçons les portes du doute », écrit Kateb Yacine : La liberté n'a pas de double nationalité, de double citoyenneté, parce qu'elle les a toutes, et qu'on ne peut l'en priver d'aucune.  En combattant pour la liberté de son peuple, la liberté de ses frères et de ses soeurs, la liberté de l'Algérie et la liberté en Algérie, Hocine Aït Ahmed a combattu pour nos libertés, à nous qui oublions parfois ce que peut signifier un tel combat, ce qu'il peut peser, ce qu'il peut impliquer de risque de mort, de torture, de prison, quand nous ne risquons plus grand chose à le mener, qu'un peu de temps, de fatigue et de carrière.

(...)
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
(...)
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
(Paul Eluard)

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