Démission de Christiane Taubira : Hollande et Valls à poil

  "Je quitte le gouvernement sur un désaccord majeur" (le projet d'inscrire dans la Constitution la possibilité de déchéance de la nationalité), a constaté Christiane Taubira, ministre de la Justice du gouvernement de Manuel Valls, et ultime caution de gauche de ce gouvernement, après les départs successifs des socialistes Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filipetti, et des Verts. "Je choisis d'être fidèle à moi-même, à mes engagements, mes combats, mon rapport aux autres, à nous tels que je nous comprends", a-t-elle ponctué après sa démission. Les députés de gauche l'ont ovationnée la ministre. C'est beau. Il eût peut-être mieux valu qu'ils la soutinssent tout uniment  dans sa confrontation avec les tenants du virage à droite (toute) opéré par le président de la République et son Premier ministre. Le départ de Christiane Taubira laisse Hollande et Valls à poil. Politiquement parlant, bien sûr. Et politiquement parlant, au moins, c'est pas beau à voir.

"Parfois, résister, c'est rester; parfois, résister, c'est partir"... et revenir ?

Ce n'est pas affaire de bilan (celui de Christiane Taubira en tant que Garde des Sceaux est mitigé -la victoire du "mariage pour tous", sur la mobilisation curetonne, n'est cependant pas anecdotique, et de toute façon son bilan ne souffrira pas de la comparaison avec celui de Hollande et Valls), c'est affaire de statut et de discours politique (la droite et l'extrême-droite, qui la traitait de "guenon", n'ont pas manqué de le confirmer en sablant le champagne à l'annonce de la démission de leur plus éloquente adversaire) : le discours  de Taubira était, dans le gouvernement de Valls, le seul qui soit audible comme discours de gauche. Il manquera, même s'il ne lui manquera pas à elle de pouvoir le tenir en tant que ministre. Elle balaie en tout cas toute question sur son avenir politique comme étant "nulle et non avenue", et déclare que le "grand changement" dans sa vie après sa démission est qu'elle va pouvoir "recommencer à lire la journée" alors qu'elle ne pouvait plus le faire que la nuit...

"Fidèles à Aimé Césaire, nous ne livrerons pas le monde aux assassins d'aube", a assuré Christiane Taubira, dans son dernier discours de ministre. Belle promesse, mais comment rassembler la gauche pour ne pas livrer au moins la France aux "assassins d'aube", quand un gouvernement de gauche rompt avec quelques uns de ses engagements les plus fondamentaux ? Le Conseiller de Martine Aubry, François Lamy, résume : "Les choses sont désormais claires : le gouvernement ne représente ni toute la gauche, ni même l'ensemble du PS", quand il faudrait au moins tenter de rassembler la première et compter sur le second pour espérer surnager dans le scrutin qui obsède l'exécutif français : l'élection présidentielle, dans un contexte de "tripartition de la vie politique", entre Front National, droite démocratique et une gauche réduite à son socle historique. La gauche "n'a jamais été aussi faible dans l'histoire de la Ve République", déclarait Manuel Valls en juin 2014, à l'appui  de sa conviction qu'il faut transformer le PS en une sorte de Parti démocrate à l'américaine ou à l'italienne : "nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut-être même d'un cycle historique de notre parti" -le cycle entamé par la transformation de la vieille SFIO en le PS actuel. Et d'en tirer la conclusion que le Parti socialiste doit "se dépasser", "rassembler plus largement", "intégrer" (des non-socialistes)... bref, se "recentrer", c'est-à-dire se droitiser, en soldant à qui voudra bien la reprendre la référence à un projet socialiste au profit d'un progressisme le moins distinctif possible. Mais que réussisse cette opération, et elle laissera l'espace nécessaire pour la reconstruction d'un mouvement socialiste digne de ce nom. D'ici là, et s'agissant de l'élection présidentielle, puisque tout le monde politique français semble ne plus penser qu'à cela, convenons que tant qu'à avoir un président de droite, autant en avoir un qui ne se prétende pas de gauche. Juppé ferait parfaitement l'affaire : au moins ne sera-t-il pas suspect d'avoir "trahi" les valeurs socialistes, puisque ce ne sont pas les siennes.

Peut-on encore espérer qu'émerge, à gauche, une candidature "vraiment de gauche", rassembleuse, ou fédératrice, de toutes les forces de gauche (y compris au sein du PS) qui ne désespèrent pas de reconstituer en France une véritable force de changement social. Les Français ne sont pas moins "politisés" qu'avant (contrairement aux "politiques eux-mêmes", qui ne discourent plus qu'avec des mots-valises), les forces de changement social  existent (même pour le pire : le Front National, à sa manière, en est une), mais, à gauche, elles existent dans un état de confusion et de division qui laisse pantois, et découragé : La "primaire citoyenne de la gauche et des écologistes" pour désigner un candidat (ou une candidate...) à la présidentielle de 2017 ? La gauche socialiste y est favorable, le PS lui-même n'y voit pas d'objection (il l'a inscrite dans ses statuts, et il est la seule force politique capable, à gauche, de l'organiser) mais pose comme condition  qu'elle soit "sans exclusive", c'est-à-dire que Hollande puisse y être candidat (ce à quoi il ne tient pas du tout, convaincu -à juste titre- qu'il n'y serait sans doute pas désigné), condition que refusent le Front de Gauche, et en particulier les communistes. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il juge le processus des "primaires", que Hollande y participe ou non, "destructeur", et refuse en principe d'y participer. Et Christiane Taubira, alors, qui a expliqué son départ du gouvernement par le choix de rester fidèle à elle-même, à ses engagements, à ses combats, "fidèle à nous tels que je nous comprend" ?

En démissionnant de son ministère,  Christiane Taubira a écrit "Parfois, résister, c'est rester; parfois, résister, c'est partir" ?... ne se dit-elle pas que "Parfois, résister, c'est revenir ?".

Commentaires

Articles les plus consultés