Taubira, la "gauche morale" et les "murmures à la jeunesse"


Cent pages utiles

Il y a deux jours est arrivé dans les librairies françaises un petit livre d'une centaine de pages. Son titre, poétique : "Murmures à la jeunesse". Son auteure : Christiane Taubira -dont le murmure, pourtant, n'est pas la forme la plus habituelle de son éloquence. Son propos ? Un peu le même que celui de Stéphane Hessel en 2010 ("Indignez-vous !). "Il faut refuser, malgré les intimidations, de capituler intellectuellement". Et on ajoutera "politiquement". Un propos qui tombe à pic, en plein débat sur la proposition du gouvernement Valls d'inscrire dans la constitution la possibilité de déchoir des binationaux de leur nationalité française (et des mononationaux des droits civiques attachés à leur unique nationalité française). Une proposition qui, en soi, pose moins de problème que l'argumentation développée pour la justifier.
 

La "gauche morale", la "gauche sociale", les pharisiens, les zélotes...

Ainsi, pour l'ex-ministre française de la Justice, Christiane Taubira, la proposition du gouvernement dont elle faisait partie, la déchéance de nationalité, n'est qu'"une menace que les obsédés de la différence, les maniaques de l'exclusion et les obnubilés de l'expulsion feront peser, et le font déjà, par leurs déclarations paranoïaques et conspirationnistes contre ceux qu'ils perçoivent déjà que comme la cinquième colonne" du terrorisme islamiste. Une vieille histoire, une vieille crainte, d'ailleurs, que celle de cette "cinquième colonne" (le terme nous vient de la Guerre d'Espagne, et désignait les partisans de Franco dans les villes contrôlées par la République) : les juifs n'étaient-ils pas supposée être les infiltrés des "Sages de Sion" ? Et les protestants, avant l'Edit de Nantes (et après sa révocation) les affidés des Anglais ? 

Répondre au terrorisme, sous la forme que lui donne Daech, par plus de police, de surveillance, de moyens pour les services de renseignement, par des mesures dérogatoires au droit commun, par des frappes militaires, c'est faire ce que la plupart des généraux confrontés à une guerre font : la mener comme a été menée la précédente. C'est le syndrome de la Ligne Maginot : elle aurait été parfaite en 1914 -elle n'a servi à rien en 1940. Pas plus d'ailleurs que la Ligne Siegfried en 1944.
Le "terrorisme", au sens où on l'entend quand on évoque Daech ou Al Qaïda, n'a jamais déstabilisé réellement un Etat. Une société, oui, mais pas un Etat, tout Etat sachant encore mieux que les "terroristes" qu'il affronte user de méthodes terroristes, et sachant depuis longtemps comment les utiliser, et ayant plus de moyens qu'eux pour les utiliser.   La force du terrorisme est médiatique et symbolique : il s'agit bien de terroriser, et pour cela, de donner soi-même ou d'obtenir grâce aux media le plus grand écho possible aux crimes que l'on commet. Echo discriminatoire, d'ailleurs : comparez celui des attentats de Paris à celui des attentats de Tunis ou de Bamako... Quant à celui de Ouagadougou, aurait-il eu l'écho  qu'il eut en Suisse si deux socialistes suisses n'y avaient pas perdu la vie ? L’écho du terrorisme se trouve même renforcé par les dispositifs d'exception dont on espère qu'ils vont rassurer le bon peuple, mais qui concourent à nourrir la paranoïa ambiante. Et pas seulement en France, en Suisse aussi, puisque dans cet œil du cyclone où campe notre pays, on entend les mêmes discours que ceux que l'on entend chez nos voisins. L'éditorialiste du "Temps" sommait ainsi le PS suisse,  le 18 novembre dernier, à propos de la nouvelle loi sur le renseignement (que le PS combat) d'"une bonne fois (dire) dans quel camp il se situe, le choix étant par l'éditorialiste en question limité à François Hollande ou "l'irresponsabilité angélique".
Nous serions donc des anges ? Première nouvelle, mais soit : battons des ailes pour signifier que le camp dans lequel nous nous situons est défini par trois mots : "liberté, égalité, fraternité". Et pas "fermeture des frontières, camps d'internement et suspicion généralisée". Ni déchéance de la nationalité. Ni contournement de la justice par la police, et de la police par les services spéciaux.
Dans cent pages nécessaires, mais sans doute insuffisantes, « Christiane Taubira veut incarner la gauche morale », titre «  Le Temps ». On ne sait si tel est vraiment son vouloir, mais ce que l'on croit, c'est qu'on n'en a pas de trop, de cette « gauche morale », en ce moment. Ni d'ailleurs de la « gauche sociale ». Et de la conjugaison des deux, la gauche "morale" ne pouvant l'être sans être aussi "la gauche sociale", ne serait-ce que pour ne pas faire de la "morale" le violon d'Ingres de pharisiens "inclus" oublieux des zélotes "exclus".

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