8 mars : Une journée internationale de qui et de quoi ?

   
LA femme ? non : LES femmes...


L'a-t-on assez entendu, ces jours derniers, cette annonce que ce 8 mars était le "jour de la femme"... On commencera donc par rappeler que nous célébrons aujourd'hui la Journée Internationale DES droits DES femmes, non la journée de LA Femme. De la femme essentielle, ontologique, fantasmatique. Ce jour n'est pas le jour de la femme en soi, il est le jour de la femme pour soi. De la femme réelle dans le monde réel. Et le jour de ses droits, conquis et non concédés. Le jour d'un combat pour l'égalité -pas une égalité éthérée, rhétorique, mais une égalité concrète, à ras le terrain social. Et là où elle peut faire mal. Et pas dans la "moitié du ciel", mais sur la totalité de la terre... En Suisse, par exemple, où les femmes sont majoritaires dans la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté, où les inégalités salariales persistent (les femmes sont payées en moyenne 20 % de moins que les hommes, et jusqu'à 30 % de moins dans des secteurs à hauts salaires), vingt ans après l'adoption d'une loi sur l'égalité salariale. En Suisse, par exemple, où une femme sur cinq est victime de violences de la part de son compagnon (voire de sa compagne). En Suisse et partout ailleurs dans le monde, où les femmes effectuent la majeure partie du travail effectué dans la société, et la plus majeure encore partie du travail non rémunéré.


A Genève, rendez-vous (pour celles et ceusses qui ne pioncent pas jusqu'à des heures que la morale militante réprouve) à midi, place Bel-Air, pour rappeler aux passantes et aux passants qui passent en quel jour et quel monde ils vivent...

    Il est plus commode de revendiquer plus de femmes au pouvoir $que moins de pouvoir sur les femmes

Ce 8 mars, Journée international des droits des femmes, on va en Suisse se mobiliser tout particulièrement "pour des retraites dignes", et contre un projet de révision de l'assurance vieillesse (l'AVS) reportant d'un an le droit des femmes à une rente de retraite.  C'est trivial ? C'est trivial... et pourtant plus ambitieux, parce que plus coûteux pour ceux qui ont à y perdre, que de revendiquer plus de femmes dans les institutions politiques, la justice, l'armée, ou les conseils d'administration... plus de cheffes, plus de patronnes... et toujours autant de sujétion, d'aliénation et d'exploitation des femmes... mais par d'autres femmes...  La "Coordination féministe pour des retraites dignes" appelle donc à se mobiliser contre la réforme (ou contre-réforme) du système de retraite, dans un pays où les deux tiers des retraitées n'ont de principale source de revenu que les rentes AVS, où une femme sur cinq gagne trop peu pour pouvoir un jour recevoir rente de prévoyance professionnelle (le "Deuxième Pilier"), à moins d'un changement radical du système. Quant à celles qui bénéficient de rentes de "Deuxième Pilier", c'est de rentes deux fois plus basses que celles des hommes. Il en découle qu'une réforme du système de retraite qui, comme celle qui est proposée, affaiblirait l'AVS à l'avantage du "Deuxième Pilier" se ferait sur le dos des femmes -surtout si en plus on repousse d'un an l'âge qui leur donne droit à des rentes de l'un ou l'autre système : C'est plus d'un milliard qu'on entend leur faire payer pour cette réforme, qui péjore leur retraite sans qu'on ait fait de réels efforts pour s'attaquer aux inégalités de salaire et de parcours professionnels et familiaux. Car les inégalités dans les rapports entre hommes et femmes sont sans doute plus lourdes encore dans la vie privée que dans la vie publique, et l'espace privé est sans doute plus encore que l'espace public le lieu de ces inégalités.

Croire que la "féminisation du pouvoir" en changerait l'exercice renvoie à une conception essentialiste de "la femme" (et non des femmes), naturellement, biologiquement, moins autoritaire, moins violente, moins compétitrice et plus coopérative que les hommes. Outre que les exemples, rares il est vrai, de femmes au pouvoir (Margaret Thatcher, Golda Meir, Indira Gandhi, Chiang Ching...) ne plaident pas forcément en faveur de cette hypothèse, la question posée est celle-ci : les femmes changent-elles ou changeront-elles le pouvoir, ou le pouvoir change-t-il ou changera-t-il les femmes ? Marine Le Pen est-elle l'incarnation d'une "autre manière de faire la politique", et de concevoir la politique ? Et les femmes membres du parti nazi, ou de quelque parti d'extrême-droite contemporain, ou les femmes élues des partis islamistes dans les parlements de pays arabes ou en Iran ?

Le fameux "on ne naît pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir ("on  ne naît pas homme, on le devient", étant tout aussi pertinent) le suggérait déjà clairement : les rôles sociaux, les identités individuelles et collectives liées au genre (au sexe), les représentations symboliques des femmes et des hommes ne sont pas innés, mais acquis, et construits. Ils peuvent donc être déconstruits. Le féminisme est un projet subversif de tous les rapports de domination -pas seulement de ceux d'un genre sur un autre, mais aussi des rapports de classe, de génération, d'exercice du pouvoir politique, économique et culturel... Or ce à quoi le féminisme est réduit parfois ne subvertit plus rien, mais conforte ce qui pèse sur les femmes plus encore sur sur les hommes, d'un poids qui est celui des institutions dont certaines ne contestent plus la légitimité, mais le genre de la majorité de qui les dirige... Comme si un changement de ce genre pouvait changer ces institutions autrement qu'en leur apparence... "Les femmes sont des hommes comme les autres", insérées dans les mêmes sociétés que les hommes, soumises aux mêmes rapports de force économiques, confrontées aux mêmes institutions politiques. Une patronne ne sera pas plus solidaire d'une travailleuse qu'un patron ne le sera d'un travailleur, ni moins solidaire d'un patron que lui d'une patronne...

Il est vrai cependant qu'il est plus commode de revendiquer plus de femmes au pouvoir visible, que moins de pouvoir réel sur les femmes lorsque ce pouvoir réel ne s'exhibe pas...

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