De la discipline et de la cohérence politiques


Epurons en rond (et ron petit patapon)...

Deux députés d'"Ensemble à Gauche" exclus des commissions du Grand Conseil pour avoir voté contre le mot d'ordre de leur groupe, une députée UDC exclue (en son  absence) de son groupe pour avoir été élue première Vice-présidente du Grand Conseil (elle en était déjà la deuxième vice-présidente) contre le candidat de son parti, trois conseillers municipaux socialistes menacés de sanctions pour avoir appelé à voter "Non" au projet de rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire soutenu par le PS, une conseillère municipale d'"Ensemble à Gauche" se drapant d'un foulard pour marquer son opposition aux positions défendues par un conseiller municipal du même groupe : les parlements genevois ont au moins réussi un exercice, ces derniers jours : illustrer la difficulté de concilier la cohérence individuelle et la discipline collective. Et, au passage, de confirmer ce que l'on savait déjà : que si la discipline fait parait-il la force des armées, elle ne fait pas l'intelligence des organisations politiques. Et même pas toujours leur efficacité.


"Ce n'est rien ! J'y suis ! J'y suis toujours." (Arthur Rimbaud)


On ne s'étendra pas ici outre mesure sur l'épuration par le groupe parlementaire UDC au Grand Conseil genevois de la seule femme qui y siégeait : la méthode ressemble trop au parti lui-même pour qu'on y voie quelque incohérence. En revanche, les exercices comparables auxquels des formations de gauche se livrent, ou sont tentées de se livrer, ou sont invitées à se livrer, nous interpellent quelque part au niveau du vécu de là où l'on parle... Les appareils politiques n'aiment pas les frondes ? Ils préfèrent les cisailles ? Ils en usent contre les frondeurs et les frondeuses ? Peu importerait, au fond, si leur présence et leur action politique n'en souffrait pas. Or elle en souffre, bien plus que de quelque indiscipline qu'ils voudraient sanctionner.

Prenons par exemple (au hasard) les sanctions prises par le groupe parlementaire d'"Ensemble à Gauche" contre la députée Magali Orsini (et le député Christian Grobet) : "Il apparaît pour le moins "perturbant" qu'"Ensemble à Gauche" envisage de sanctionner une élue de la République pour la seule et unique raison qu'elle aurait fait preuve d'esprit critique et qu'elle ne se serait pas contentée de suivre docilement et servilement des consignes de vote" écrit (à "Ensemble à Gauche") l'avocat de Magali Orsini, qui rappelle qu'"Ensemble à Gauche" est un "agrégat de plusieurs partis politiques" (même si l'un -ils sont six en tout- semble se vouloir hégémonique) dont les sensibilités sont différentes et les valeurs diverses, et au sein de laquelle les "dissonances" devraient être "tolérées et non pas étouffées au profit d'une uniformisation". Ce qui nous renvoie à un fort vieux débat, sur les limites du pluralisme au sein des partis politiques, et sur le rôle de leurs groupes parlementaires, quand ils en ont un.

C'est un combat constant dans toutes les formations politiques de gauche, depuis qu'elles sont présentes dans les parlements, à quelque niveau que ce soit (local, régional, national...) et de quelque culture politique qu'elles soient (radicales-démocratiques, radicales socialistes, socialistes de toutes espèces, communistes) que de mettre les groupes parlementaires au service du parti, du mouvement, de l'organisation, et non le contraire -un combat permanent que de faire des groupes parlementaires des instruments du parti et de ses membres (ou de sa direction politique, lorsque ces partis n'ont de démocratique que la prétention), et non des instances souveraines, plénipotentiaires, ne rendant compte qu'à elles-mêmes et s'épurant librement...  d'autant que ces groupes constitués par la loi ou le règlement, non par une décision volontaire de leurs membres.

Pour faire dans l'empirique et le rationnel, on dira qu'on n'adhère pas à un parti politique, en tout cas pas à un parti socialiste (le cas des sectes léninistes étant réservé à une étude relevant de la paléontologie), comme à une église ou une troupe de scouts : on y adhère comme on s'associe. Et s'associer, ce n'est renoncer à rien de ses libertés, si c'est reconnaître à ses associés les mêmes libertés qu'on revendique pour soi. Toute l'histoire du parti socialiste est ainsi l'histoire de l'association, dans une organisation commune, de gens qui ont du socialisme des conceptions différentes, voire contradictoires, et qui s'associent pour promouvoir ce qu'ils ont en commun (et combattre leurs adversaires communs), sans rien renier ni rogner de leurs différences . Les partis socialistes se sont créés par la rencontre de socialistes libertaires, de radicaux socialistes, de jacobins de gauche (il en est de droite) de sociaux-démocrates, de sociaux-libéraux, de socialistes chrétiens et de socialistes révolutionnaires, mais par leur rencontre en tant qu'individus : on n'est pas dans une logique de coalition, d'agglutination de groupes déjà constitués, mais dans une logique d'association d'individus restant des individus lors même qu'ils et elles sont militantes et militants, voire élues et élus.

Alors soyons clairs : comme nous avons été quelques un-e-s au PS à appeler à voter "non" au projet (...) du Musée d'Art et d'Histoire de Piogre, ou au financement par le canton déménagement de l'armée de la caserne des Vernets, alors que le PS les soutenait, nous serons aussi quelques un-e-s (le plus possible...) à appeler à voter "non" à la traversée routière du lac ou au financement public de la réfection du stade de la Praille (pour ne prendre que ces exemples, et ne pas évoquer l'hypothèse paroxystique du soutien par le PS d'une proposition xénophobe), même s'il prenait au PS l'idée stupide de les soutenir. Dans l'histoire de la gauche, la discipline de parti (ou de groupe) a plus souvent mené à des catastrophes qu'à des victoires. De cette discipline, le PS français est d'ailleurs en train de crever. Et nous saluons comme elle le mérite (et elle le mérite) l'opposition des "frondeurs" socialistes français aux errances de "leur" gouvernement et de leur parti.

Ni Dieu, ni maître, ni bureau politique !

Commentaires

Articles les plus consultés