Semer des graines de désordre


Au prétexte de quelques querelles intestines
           
Quelques péripéties dans quelques formations de gauche locales, quelques désordres dans le champ politique genevois, quelques exclusions, quelques exorcismes, peuvent à la fois égayer les encore longues soirées de fin d'hiver, et inciter à se demander à quoi rime, à quoi sert, d'être dans un parti politique (ou une coalition d'organisations politiques), et ce que nous pouvons y faire sans nous défaire de nos libertés et de nos volontés individuelles d'agir.
Semer des graines de désordre, et attendre de voir ce qui en pousse : rien n'est peut-être plus utile dans le paysage politique en lequel nous figurons. Mettez derrière ce "nous" ce que vous voulez, et qui vous voulez : peut-être n'est-ce qu'un pluriel de majesté, peut-être est-ce une connivence, peut-être est-ce une conspiration. Allez savoir...

"La victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans l'aimer" (Guy Debord)

Nous sommes de ceux pour qui il n’y a pas de plus grand honneur que celui de n’en mériter aucun qui soit décerné d’en haut, de là d'où d’autres, qui parfois furent révolutionnaires, ou qui plus souvent se plurent à en prendre la posture, attendent de quelque pouvoir quelque reconnaissance : un titre, un poste, une médaille, une fonction, une rencontre., un siège. Cette faiblesse de vouloir être reconnus comme tels par nos adversaires, mais aussi par tout pouvoir quel qu’il soit, (et les media en sont un), a son prix : obéir. Et obéir, c’est forcément soutenir ce à quoi l’on obéit. C’est admettre par l’acte d’obéissance lui-même la légitimité à la fois de l’ordre et de qui ou quoi le donne. C’est donc toujours faire un choix : celui de la révérence à l’ordre. C'est ce choix que nous récusons.
 
Nous devrions poser comme une exigence la cohérence -et non seulement la cohérence du discours, mais aussi et surtout la cohérence entre le discours et la pratique. Nous sommes certes tous, individuellement et collectivement, traversés par les contradictions du mouvement social dont nous participons. Mais de ces contradictions, nous ne devrions pas proposer la schizophrénie comme synthèse, ou comme résolution. La réduction du rôle des partis de gauche à celui de bureau de placement pour candidats à la haute fonction publique ou à la politique professionnelle, et du rôle des syndicats à la fonction de bureau de réclamation sociale du capitalisme, laisse à l’inventivité politique (révolutionnaire par conséquence, sinon par définition) un champ considérable : c’est un champ que nous voulons explorer par la dérive, investir par le jeu, contrôler par le détournement, subvertir par le rire.
Le pouvoir ne s’exerce jamais si bien, c’est-à-dire si lourdement, que sur des gens tristes. La tristesse isole et le pouvoir doit isoler les uns des autres ceux sur qui il s’exerce, précisément pour pouvoir continuer à s’exercer sur eux -ce qui justifiera d’ailleurs leur tristesse. La politique est chose trop sérieuse pour être laissée à des gens sérieux. Nous ne le sommes donc pas, et tentons de faire en sorte qu'en chacun de nos actes le jeu soit non seulement présent, mais déterminant, et que l’humour en soit le langage. Ce que nous avons à faire, nous avons à le faire en riant : si les révolutionnaires avaient été moins tristes, sans doute leurs victoires auraient-elles été plus heureuses.

Nous devons, pour être entendus -à supposer que nous souhaitions l’être- parler plus fort qu’il faudrait, et peut-être plus violemment -exprimer une pensée plus simplifiée que celle qui nous vient. Le murmure ambigu par lequel se dit le mieux l’état du monde, le projet de le changer et le contenu de ce changement, resterait inaudible s’il n’était introduit par le fracas d’un discours d’autant plus péremptoire que sa clarté sera faite du refus de l’apparente tolérance pluraliste du champ médiatique -tolérance apparente, puisque derrière cette polyphonie on retrouve toujours la même vieille ligne mélodique, monodique, qui fait office de critère de sélection de ce qui méritera d’être relaté, diffusé, et de ce qu’il conviendra de taire et de celer. Qu’on ne nous reproche pas d’être péremptoires : nous ne le sommes que pour pouvoir ne plus l’être une fois franchi le mur du silence qui enterre les pensées du changement. Dans ce monde, il faut d’abord crier, pour pouvoir ensuite parler. Et peut-être d'abord vraiment mentir pour pouvoir ensuite mentir vrai.

Nous n'avons plus le temps d'attendre : attendre qu'on nous écoute pour parler, attendre qu'on nous comprenne pour expliquer, attendre d'être aimé pour aimer, attendre qu'on nous suive pour agir, attendre d'avoir tout prêt, sous la main, complet et définitif, le modèle de la nouvelle société, pour se défaire de l'ancienne. Attendre des autorisations, des décisions, des mandats. Il est temps de mettre du désordre partout où l'on peut.

"La victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans l'aimer" (Guy Debord)
 



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