Loi sur l'asile : Pas de "front républicain"



L'espèce de "front républicain", du grand patronat à la gauche révolutionnaire, qui a fait trébucher l'UDC le 28 février, lors de la votation sur son initiative de "mise en oeuvre" de l'expulsion automatique des "criminels étrangers", ne se reformera pas le 5 juin, pour sauver la révision de la loi sur l'asile, attaquée par un référendum de la même UDC. Un comité "unitaire" pour le "oui" a bien été formé, rassemblant tous les partis nationaux sauf l'UDC, et de grandes organisations de défense des droits humains en général et du droit d'asile en particulier (comme Amnesty International ou l'OSAR), mais ce comité aura peu de moyens, et va conduire une campagne fondée sur un appel au "pragmatisme" dont la force mobilisatrice reste à prouver. Enfin, la gauche est divisée : le PS va soutenir la loi proposée par le gouvernement, votée par ses parlementaires et portée par sa conseillère fédérale (lke PS genevois, toutefois, appelle au vote "blanc", la loi ne méritant pas un "oui" et le référendum de l'UDC ne méritnt pas non plus d'être soutenu), les Verts vont sans doute en faire autant, mais un "non de gauche" s'exprime déjà, et va s'exprimer pendant toute la campagne.

Au risque du dogmatisme ou à celui de l'opportunisme...

Un seul comité national fera campagne pour le "oui" à la loi sur l'asile. Un comité dont les co-présidences vont de la gauche des Verts (Balthasar Glaettli) à la droite du PDC (Gerhard Pfister -c'est d'ailleurs le PDC qui assumera la conduite de la campagne). Un seul comité, mais pas un seul argumentaire : les socialistes et les Verts vont insister sur ce qu'ils considèrent comme des améliorations de la situation des réfugiés (un soutien juridique dès le départ de la procédure, plus de places d'accueil ailleurs que dans des abris PC), la droite démocratique sur l'accélération des procédures et les économies (financières) que cette accélération va permettre. On sera loin, en tout cas, d'un discours mobilisateur, et les partisans de la loi ne disposeront pas des moyens financiers et de la mobilisation "à la base" qui a permis le succès du 28 février, contre l'UDC. Le futur président, très conservateur, du PDC, Gerhard Pfister, donne le ton : "il faudra avant tout faire appel au bon sens de la population pour défendre une solution pragmatique", face à UDC qui annonce qu'elle veut faire de sa campagne contre la loi "une sorte de référendum sur la politique d'asile", en parlant le moins possible de la loi elle-même (dont l'essentiel lui convient parfaitement), et en tenant un discours apocalyptique sur l'"invasion" immigrante, la menace islamique, le péril terroriste -on en passe et des pires.

Il est vrai que le choix entre l'acceptation ou le refus de la loi sur l'asile ne changera pas grand chose à la situation réelle des réfugiés :  il n'y a pas à la clef le risque d'une aggravation de cette situation, telle que l'impliquait pour les personnes concernées l'initiative de "mise en oeuvre" repoussée le 28 février), mais seulement deux modalités différente du maintien de cette situation. Il n'y a pas non plus d'engagement matériel des organisations patronales, peu encline à se mobiliser pour défendre une loi portée par une ministre socialiste, et surtout une loi sans enjeu économique (contrairement, par exemple, à l'initiative pour un revenu de base inconditionnel, soumise au vote populaire le même jour que la loi sur l'asile, et contre laquelle le patronat et la droite vont investir des moyens qu'ils n'investiront pas contre l'irrédentisme xénophobe de l'UDC).

Une partie de la gauche va pourtant combattre la loi. Non aux côtés de l'UDC, mais parallèlement à celle-ci. Parce que depuis des années, le droit d'asile dans ce pays, comme dans presque tous les autres, se rétrécit, que les conditions de son obtention se durcissent, que la loi qui est soumise au peuple témoigne de ce durcissement. Mais il se trouve que le référendum lancé contre la loi l'a été par ceux qui ne la trouvent pas assez dure, pas par les défenseurs du droit d'asile. Et que le refus de la loi ne va certainement pas améliorer la situation des réfugiés, ni permettre la conception d'une loi meilleure. On reposera donc ici la question qu'on posait déjà la semaine dernière : "Que faire d'une loi qui nous déplaît, combattue par qui nous déplaît plus encore ? Dire "oui" à une loi qu'en d'autres temps nous aurions reprouvée, ou "non" comme le disent des forces que nous combattons et qui nous combattent ?". Vieux dilemme, résumé par le vieux Max Weber comme celui opposant une éthique de conviction fondée sur la cohérence et la fidélité aux principes, au risque du dogmatisme, à une éthique de responsabilité fondée sur le pragmatisme et la prise en compte des rapports de force, au risque de l'opportunisme.. Dilemme auquel on ne peut échapper par aucune réponse sculptée dans le marbre ou coulée dans le bronze... La majorité de l'électorat de gauche va sans doute voter pour la loi, sans aucune conviction, du bout des lèvres, mais après une pesée des conséquences politiques de son vote. Et le "non" de gauche sera un "non" de témoignage, sans autre attente que celle d'être entendu : le témoignage d'un refus de la résignation au démantèlement du droit d'asile -refus que partagent nombre de partisans du "oui"...

Le vote du 5 juin ne va rien clore, ni du débat sur le droit d'asile, ni de la lutte pour sa défense : quelque soit le résultat final, ce combat ne s'arrêtera pas. Les promoteurs de nouvelles restrictions au droit d'asile et de nouveaux durcissements du traitement infligé aux requérants ne se satisferont pas du statu quo. Pas plus que nous nous en satisferons nous-mêmes. Si la loi est acceptée, c'est sur son application que, tout de suite, le clivage entre eux et nous, se reformera. Non plus sur des textes, mais sur des pratiques concrètes, sur les conditions matérielles du droit d'asile, les conditions matérielles d'accueil et d'hébergement des réfugiés -et sur leur nombre.
Sur l'essentiel, le combat continue. Et il faudra bien que nous le menions ensemble si nous ne nous ne résignons pas à le perdre définitivement, partisans d'un "oui" de gauche et partisans d'un "non de gauche" défaits ensemble.

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