"Panama Papers" : Genève, terre de contrastes


Le Parquet genevois a ouvert des enquêtes, confiées à sa "section des affaires complexes", après que la publication des "Panama Papers" ait mis en évidence le rôle de Genève, de ses banques, de ses fiduciaires, de ses intermédiaires financiers, de ses gestionnaires de fortune et de ses avocats d'affaires dans l'industrie de la domiciliation "offshore". Plusieurs avocats mis en cause (comme Marc Bonnant) se sont défaussés en mettant en cause l'"impureté des sources" des media (les auteurs des "fuites" panaméennes). Or pour la justice, les sources ne seront pas les "lanceurs d'alerte" mais précisément les media, qui ont parfaitement joué leur rôle, et le prétexte dilatoire de l'"impureté des sources" ne pourra être invoqué à leur propos. Un Bonnant se défend d'avoir contribué au moindre acte de blanchiment de fonds d'origine criminelle, se revendique sans rire de la pureté fiscale et assure que sa présence dans des conseils d'administration de sociétés Offshore ne se justifie que pour veiller au respect du droit. De quel droit ? Du droit, qu'il proclame par ailleurs, de soustraire des fonds au fisc de son pays. Autant dire que nul, et sans doute pas même lui, n'accorde à ses déclarations la moindre crédibilité. Reste que depuis des lustres, toutes les "affaires" financières internationales d'importance renvoient, peu ou prou, à Genève : les fonds du clan Bhutto comme ceux des amis de Boris Eltsine, des potentats kazakhs ou angolais, de  trafiquants de diamants ou d'armes. Le canal de Panama ? Il part de Genève. Capitale mondiale du monde mondial. Et même du demi-monde : celui des avocats d'affaires pour qui le droit est ce que l'amour est aux péripatéticiennes : tarifé.

"il y a toutes sortes de raisons légitimes de détenir une offshore"

En 2005, la Suisse a signé avec l'Union européenne un accord sur la fiscalité de l'épargne, permettant de taxer la fortune des ressortissants européens. Depuis, le nombre de sociétés "offshore" crées depuis la Suisse a augmenté. Coïncidence ? Bien sûr que non : quand un pays ne peut plus servir de planque fiscale, mais qu'il continue à concentrer les compétences professionnelles individuelles et collectives requises par cet exercice, on ne s'en sert plus comme d'un refuge mais comme d'un intermédiaire pour trouver un nouveau refuge. Le Panama, par exemple : Les "Panama Papers" détaillent le fonctionnement de pas moins de 214'000 sociétés-écrans, trusts et fondations domiciliées dans 21 juridictions, avec une prédilection pour les îles en général, et celles du Pacifique Sud (Samoa, les Iles Vierges) en particulier. Panama est devenu l'asile de prédilection pour les fonds issus du trafic de drogue, comme il était devenu le symbole même des pavillons de complaisance dans le transport maritime.


Les fortunes stockées sur des comptes "offshore" totalisent des dizaines de milliers de milliards de dollars (ou d'euros ou de francs suisses). Elles ne sont plus couvertes en Suisse par le secret bancaire, mais par la complexité des mécanismes utilisés pour les planquer.  Ce ne sont pas les justices et les polices des pays victimes de l'évasion fiscale qui la dénoncent en premier, actuellement, mais des "lanceurs d'alerte" puis la presse. Parce que le mécanisme de l'évasion et de la création de sociétés-écrans est tel que seuls ceux qui en sont les mécaniciens, dans les banques ou des officines comme Mossack Fonseca, peuvent les mettre au jour. A moins qu'ils le soient à la faveur de conflits d'intérêts entre les bénéficiaires de ces mécanismes, les uns dénonçant les autres.

L'évasion fiscale est une course qui finit entre les tropiques, mais qui part du nord, où elle s'organise depuis les Etats-Unis (au Delaware, au Nevada, au Wyoming, par exemple) ou l'Europe (depuis le Luxembourg, le Royaume-Uni ou la Suisse). L'argent qu'elle soustrait au fisc prive les pays d'où il fuit des moyens de mener une politiques qui déplaît aux plus riches (la France y perd entre 60 et 80 milliards d'euros par an de rentrées fiscales...), tout en permettant à ceux-ci de garder leurs richesses, voire de les accroître. On n'est pas face à un comportement déviant, anormal, mais au contraire face à un comportement logique, rationnel. Et normal, si l'on prend comme référence non pas les normes légales, mais les normes économiques : maximiser ses profits, accroître ses revenus et sa fortune, les soustraire à l'impôt. D'ailleurs, les Etats victimes de cette fuite de capitaux se font un devoir d'en pardonner souvent les coupables, moyennant amendes, lorsque ces coupables faussement repentants y voient leur intérêt et finissent par déclarer, pour s'éviter des poursuites pénales, des pactoles qu'ils avaient dans un premier temps soustraits au fisc.

Comme le dit l'inévitable Christhihan Lüscher, "il y a toutes sortes de raisons légitimes de détenir une offshore" : la beauté des paysages panaméens, la douceur du climat, l'amabilité des indigènes... mais planquer son pognon à l'abri du fisc et de la justice ? vous n'y pensez pas...

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