Service public : Unanimité de façade contre l'initiative "Pro Services Publics"


A entendre la gauche (à nous entendre, donc) et les syndicats, on pourrait croire que les services publics sont menacés, dans ce pays comme un peu partout ailleurs. Que la droite et le patronat ne rêveraient que les mettre en pièces, les privatiser, n'en garder que quelques pans, les moins rentables, les moins porteurs de profits potentiels... Billevesées, paranoïa : les services publics, en Suisse, tout le monde (ou presque) les aime. La gauche et les syndicats, évidemment, mais aussi le Conseil fédéral, le PLR, le PDC, même l'UDC, même EconomieSuisse, même l'USAM. Il n'est, pour se rendre compte de cet amour fou, que de constater la belle unanimité qui s'est faite pour renvoyer aux oubliettes (elle le mérite amplement, soit dit en passant) l'initiative de la presse consumériste "Pro Services Publics", soumise au vote populaire le 5 juin après n'avoir obtenu, performance rare, aucune voix aux Chambres fédérales... Un doute, pourtant, nous tenaille : Lorsque même ceux qui ferment les bureaux de postes et veulent privatiser la SSR proclament leur volonté de défendre le service public, n'y aurait-il pas, quelque raison de soupçonner que l'unanimité pour le "non" ne soit qu'une façade, et que certains "non" à l'initiative ne soient que d'enfumage ?

Un peu de consensus, de temps en temps, ça repose. Faut juste pas en abuser.

Pour la Conseillère fédérale Doris Leuthard, l'initiative consumériste est non seulement inutile, mais elle est aussi dangereuse. Inutile parce que "nous avons des services publics excellents en Suisse". Et que si, par exemple, la Poste se transforme, réduit certains de ses services et en développe d'autre, c'est parce que les besoins de la clientèle changent : "on n'envoie plus des lettres mais des courriels". Ce qui est objectivement faux : le nombre de lettres diminue, mais on en envoie toujours beaucoup. Et les courriels s'y ajoutent, mais ne les suppriment pas. Le feraient-ils, d'ailleurs, qu'on ne voit pas pourquoi cela justifierait qu'on transforme les offices postaux en bazars.
Et puis, l'initiative est dangereuse, parce qu'en interdisant aux entreprises publiques rentables, comme Swisscom, de faire du profit (ce qui permet à certaines de ses prestations bénéficiaires d'en subventionner de déficitaires) et de verser des dividendes à la Confédération pour permettre à celle-ci de subventionner d'autres entreprises publiques, non rentables, elle met réellement en danger les services publics assurés par ces entreprises publiques : ainsi, en 2015, Swisscom a versé 581 millions de francs à la Confédération, qui a également reçu 200 millions de la Poste, à qui elle a versé 176 millions de francs pour les cars postaux, et deux milliards de francs aux CFF pour financer leurs infrastructures, le trafic régional et le trafic marchandise.

La belle unanimité qui s'est faite pour combattre l'initiative "Pro Service Public" s'est faite aussi contre son seul contenu qui aurait pu nous complaire, s'il avait ciblé spécifiquement les hauts salaires en proposant de plafonner ceux des hauts dirigeants des entreprises publics à un maximum équivalant à celui de leur ministre de tutelle (les patrons de La Poste et des CFF se font un million par an, le patron de Swisscom près de deux millions, soit entre trois et six fois plus que leur ministre de tutelle). Le problème, cependant, est que l'initiative ne propose pas le plafonnement des seuls salaires des hauts dirigeants de ces entreprises, de plafonner tous les salaires, y compris les plus bas, qu'elles versent aux 100'000 employés de la Poste, des CFF et de Swisscom, et de les plafonner à l'équivalent des salaires versés dans l'administration fédérale. Or les plus bas salaires versés par les entreprises publiques, on devrait pouvoir les augmenter plutôt que les plafonner au prétexte qu'on en trouve d'encore plus bas dans le "petit Etat" fédéral... Ou ailleurs. Parce qu'on en trouve toujours de plus bas. Augmenter les salaires du petit personnel des entreprises publiques : une revendication qui évidemment ne serait pas du goût des adversaires de droite l'initiative consumériste. Et on s'en voudrait de briser la si belle unité qui s'est faite, de l'UDC au PS et d'Unia à EconomieSuisse, pour la combattre.
D'ailleurs, on votera NON. Comme EconomieSuisse. Un peu de consensus, de temps en temps, ça repose. Faut juste pas en abuser. Parce que là, ça endort. Et que c'est pas le moment.

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