Budget, effectifs et investissements militaires : A l'Ost, du nouveau


A la mi-avril, la majorité de droite (UDC, PLR, PDC) de la commission parlementaire (Conseil national) de la Sécurité a fait un joli cadeau à notre glorieux ost fédéral : elle a voté une motion chargeant le Conseil fédéral de présenter un programme d'armement 2017 prévoyant que les fonds qui seront alloués à l'armée puissent être intégralement utilisés. Plus de "non dépensé", de soldes de crédits inutilisés, de munitions achetées et pas tirées : on dépense tout le pognon qu'on reçoit. Et tant mieux si on en reçoit plus, on pourra en claquer plus. Pas de frein aux dépenses, ni de frein à l'endettement, ni de réductions budgétaires, ni de recherche de bonis aux comptes qui tiennent. La fête, quoi. Commentaire du socialiste genevois Carlo Sommaruga : "c'est une attitude irresponsable envers les économies demandées dans les autres départements (...), une logique démentielle d'enfant gâté". Mais une logique tout de même, ajouterons-nous. A rebours de celle que ses partisans préconisent en général pour les dépenses sociales, culturelles, d'aide au développement, mais parfaitement accordée en revanche à une bonne vieille tradition  politique de ce pays. Politique, ou religieuse : celle qui honore une vache sacrée, l'armée.

"... dresse-toi loin des combats"... mais au plus près de ce qu'ils rapportent...

L'armée suisse serait donc autorisée par le parlement, s'il suit la motion de la commission de sécurité de sa Chambre basse, à dépenser sans savoir à quoi. Et une majorité politique semble prête à lui faire retrouver l'étiage des cinq milliards de budget annuel ou vingt milliards quadriennaux (alors même que le gouvernement s'en tenait à 4,7 milliards annuels, 18,8 milliards quadriennaux).
Cette générosité parlementaire s'ajoute à la tentative du Conseiller fédéral Parmelin, nouveau ministre de la Défense du Sol Sacré de la Patrie, de relancer le projet d'acheter de nouveaux avions de combat, en partant du principe (commode) que si le peuple, irresponsable, a refusé en votation populaire d'offrir 22 Saab "Gripen" à notre Luftwaffe, c'est parce que le peuple, suédophobe, n'aimait pas les "Gripen", mais qu'il certainement aurait aimé d'autres modèles d'avions. Si possible plus chers. Genre "Rafale". Et peu importe que ce ne sont pas les avions qui manquent à notre armée de l'air, mais les pilotes -au point que la défense de l'espace aérien suisse n'est opérationnelle qu'aux heures de bureau.
Enfin,  au sein même de l'armée, un groupe d'officiers  (dit "Giardino") annonçait début avril le lancement d'un référendum contre la pseudo "réforme" de l'armée, la DEVA (soutenue pourtant par la société suisse des officiers et les partis de droite) en tant qu'elle entraînerait une réduction des effectifs réglementaires à 100'000 hommes, mieux formés, mieux équipés et plus mobiles que les 220'000 actuels. Les référendaires l'assurent : l'armée ne pourrait plus "assurer la sécurité du pays". Contre qui ? La menace du Liechtenstein ? Celle d'une horde de chars russes déferlant sur le plateau comme l'imaginent encore une majorité de parlementaires ? Celle des immigrants en général et des réfugiés en particulier, contre qui l'UDC veut mobiliser l'armé aux frontières ?

Heureusement, en face (c'est-à-dire dans notre camp à nous, pour causer scrongneuneu dans le texte), on n'est pas en peine de raviver la flamme de l'opposition au fétichisme militariste : le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA pour les intimes) a annoncé le lancement, l'année prochaine, d'une initiative fédérale pour l'interdiction du financement du matériel de guerre, doublée d'initiatives municipales pour l'interdire aux caisses de retraite publiques des villes : "pas d'argent suisse pour faire la guerre". La cible (toujours pour causer militaire dans le texte, version sniper), ce sont les banques, les assurances et les fonds de pension qui investissent, ou pourraient investir, dans la production d'armes, de munitions, de matériel de guerre au sens le plus large possible. Or la Banque nationale suisse elle-même a investi plus de 600 millions de francs dans la production d'armes nucléaires, UBS et Crédit Suisse ont investi (en 2015) six milliards et demi (plus que ce que la droite veut accorder de budget à l'armée suisse...) dans l'industrie productrice d'armes nucléaires, et les caisses de pension autour de huit milliards dans l'industrie militaire et de défense. Et cet argent-là, celui des caisses de pension, c'est celui des salariés.

De quoi l'argent est-il le nerf, déjà ? En tout cas, entre ceux qui veulent en accorder plus à l'armée suisse en l'autorisant à le dépenser en totalité, ceux qui trouvent qu'une armée de 100'000 hommes est trop peu nombreuse et ceux qui investissent des milliards dans la production de matériel de guerre, les paroles du vieux "chant de la Bérézina" prennent un sens étrange : "terre haute et féconde, où se sont marqués nos pas, dans l'azur au coeur du monde, dresse-toi loin des combats" ? Loin des combats ? peut-être. Mais pas trop loin des investissements dans ce qui les rend possible : les armes.
Rompez !

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