Financement des partis et des campagnes politiques : Qui paie qui, et pour quoi ?


Une coalition de partis de gauche (le PS, les Verts), de quelques petits partis de droite (le PBD, les Evangéliques) ou d'ailleurs (les Pirates) a lancé le 26 avril une initiative populaire fédérale "pour plus de transparence dans le financement de la vie politique". Exiger plus de transparence dans la vie politique suisse n'est pas une revendication maximaliste : encore moins de transparence que ce n'est le cas en Suisse serait difficile pour une démocratie... Et savoir qui paie qui et pour quoi n'est après tout qu'une exigence légitime -que selon un sondage sur internet, trois Suisses-ses sur quatre partageraient. L'initiative ne demande pas la lune -seulement ce qui se pratique déjà à Genève et Neuchâtel, et qui pourrait se pratiquer à Fribourg : la publication, avant une votation ou une élection, de la liste des principaux donateurs aux partis et comités de campagne, et l'interdiction des dons anonymes.

"Cachez ce pognon dont la plèbe ne saurait voir l'origine"

La Suisse est le dernier pays démocratique d'Europe à ne disposer d'aucune réglementation nationale sur le financement des partis et des campagnes politiques. Pourtant, l'information sur les enjeux d'un vote est la clef de la compréhension de cet enjeu -et pas seulement l'information sur ce qui est soumis au vote, mais aussi l'information sur la campagne, sur les candidates et candidats lors d'une élection, sur les forces politiques, sociales, économiques qui appellent à voter dans un sens ou un autre, et participent au financement des campagnes. Savoir qui paie qui et pourquoi, cela dit quelque chose d'important d'une campagne, et donc de son enjeu : quand une personne, une entreprise ou une organisation met des dizaines, voire des centaines de milliers de francs dans une campagne électorale ou référendaire, c'est qu'elle en attend quelque chose. C'est un investissement, pas une aumône. Un calcul, pas un symbole.

Aucun des grands partis de droite (le PLR, le PDC, l'UDC) ne soutient l'initiative. Surprenant ? Pas vraiment. Il n'est pour s'en convaincre que de lire dans "Le Courrier" (du 27 avril) la réaction du remonte-pente PLR valaisan Nantermod à l'annonce du lancement de l'initiative : "Je m'oppose avec véhémence à la tendance de notre société qui veut faire la transparence sur tout : il y a une multitude de choses relevant de ma vie privée que je veux cacher, et qui sont totalement licites". Comme de se faire acheter, par un soutien à sa candidature au Conseil national, son vote en faveur de l'initiative "vache à lait" des milieux bagnolards, par exemple ? C'est en effet totalement licite. Et l'initiative populaire pour la transparence des financements politiques ne le rendrait d'ailleurs pas illicite. Elle le rendrait seulement public -dans le cas précis, cela a d'ailleurs été rendu public. Mais pas par une "fuite", par une loi. Il ne s'agit donc pas de "faire la transparence sur tout", mais seulement sur ce qui, politiquement importe. Et dont la vie privée d'un Nantermod ne fait pas partie.

"Savoir qui se cache derrière les affiches que l'on voit dans les gares et sur les bus", lors des campagnes électorales et référendaires, est-ce "faire la transparence sur tout" ? Non : c'est seulement, dans une démocratie, faire un peu de transparence sur le processus de décision politique. Est-il si indifférent au débat politique de savoir qu'à Genève (où le minimum de transparence exigé par l'initiative est déjà instauré par la loi) , les partisans de la rénovation et de l'extension du Musée d'Art et d'Histoire disposaient de deux fois plus de ressources (environ 400'000 francs) que les opposants (ce qui n'a pas empêché les opposants de gagner le vote), et que les opposants avaient reçu pour 70'000 de soutien financier (soit plus du tiers des 200'000 francs dont ils ont pu disposer) du clan Barbier-Muller ? Est-il si indifférent au résultat des élections fédérales de 2015 que les campagnes électorales des partis en lice leur ont coûté au total en tout cas vingt millions de plus qu'il y a quatre ans, soit au moins une cinquantaine de millions, que les dépenses de campagne de l'UDC pour ces élections sont estimée à cinq fois celles du PDC, et dix fois celles du PS, que l'UDC a a elle seule dépensé plus pour sa campagne que tous les autres partis réunis et qu'en 2010 déjà, la part de l'UDC dans les dépenses publicitaires totales de tous les partis nationaux se situait 25 points au-dessus de son poids électoral ? Et est-il. vraiment indiscret et indélicat de se demander, trivialement, "d'où vient le pognon" dont bénéficie un parti politique, surtout quand il en dispose d'autant?

La transparence du financement des partis et des campagnes politiques mettra au jour l'inégalité des moyens dont disposent les uns et les autres ? Sans doute. Et c'est sans doute aussi pour cela que les forces politiques qui disposent des plus gros moyens (et d'entre elles, celles qui affectent de parler au nom du "petit peuple"...) sont celles qui s'opposent le plus ardemment à la publication de l'affectation politique de ces moyens.

"Cachez ce pognon dont la plèbe ne saurait voir l'origine" dirait Tartuffe, s'il était trésorier ou dirigeant de l'UDC (ou du MCG).
Au fait, ne l'est-il pas ?

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