Initiative "Vache à lait" : Meuh non !


Dans le paquet bourratif de textes soumis le 5 juin prochain à la sagacité proverbiale de nos votes, on en trouve un particulièrement pernicieux : une initiative populaire lancée par le lobby routier. ("Auto Suisse", l'association des importateurs de bagnoles. Le nom officiel de l'initiative est "Pour un financement équitable des transports", plus connue sous son petit nom d'initiative "vache à lait". Qu'est-ce que Marguerite vient faire dans cette proposition ? Elle vient y jouer le rôle de victime : les initiants se plaisent en effet à présenter le transport automobile comme la "vache à lait" de la caisse fédérale. Comparaison injurieuse pour Marguerite. Défendons son honneur : non seulement le transport automobile n'est pas la Marguerite de Maman Helvetia, mais il coûte bien plus cher à la collectivité que ce qu'il lui paie en impôts et taxes, si on tient compte de ses effets directs sur l'environnement (naturel ou bâti), l'aménagement, la santé et on en passe... Financement "équitable des transports", disiez-vous ? 

L'heure de la traite : et si la route payait tout ce qu'elle coûte ?


L'initiative "vache à lait", tous les partis la combattent, sauf l'UDC (et ses appendices locaux, Lega et MCG), ainsi que le Conseil fédéral, les cantons et les villes, mais des minorités significatives au sein du PLR (dont sa nouvelle présidente Petra Gössi et son nouveau vice-président, Philippe Nanternod) et du PDC (dont son futur président Gerhard Pfister) la soutiennent. Son échec n'est donc pas assuré. Résumons donc : l'initiative propose d'affecter exclusivement au trafic routier le produit de la taxe de base sur les carburants. Pour répondre (en y cédant un peu) à la pression ainsi exercée par l'initiative bagnolarde, le Conseil fédéral et le parlement ont créé un Fonds routier pour les routes nationales et le trafic d'agglomération (Forta), qui recevrait 670 à 700 millions de francs de recettes fédérales additionnelles, produites par une augmentation de la part revenant à la route de l'impôt sur les carburants, et par le basculement dans le fonds de la totalité de l'impôt sur les véhicules automobiles. Un effort considérable, qui ne satisfait pas le lobby routier, qui clame que les automobilistes paient, ensemble, toutes taxes et tous impôts additionnés*, y compris la TVA, un peu plus de neuf milliards à la Confédération et aux cantons, mais que seul un tiers de cette somme est utilisé pour financer des projets routiers. Comme si seul le financement de projets routiers était lié à l'omniprésence du transport automobile...
De ce que la cohorte des automobilistes verse dans les caisses publiques, un peu plus de 16 % (soit un milliard et demi) va à l'encouragement au transport ferroviaire, conformément à des votes populaires largement majoritaires (nouvelles lignes alpines, transfert modal) et 4 % (337 millions) va au financement de mesures environnementales. Le reste se répartit entre la caisse fédérale (44 %), la route (32 %) et les cantons (5 %). La route reçoit donc trois milliards. Mais le lobby automobile ne s'en satisfait pas. Il veut un milliard et demi de plus (le produit de la taxe de base sur les carburants).  Son initiative ne détournerait pas moins de 700 millions de francs de recettes fiscales en 2016, puis un milliard et demi dès 2017, vers le financement exclusif du transport routier. Ne proposant aucune recette compensatoire de ce hold-up, l'initiative, si elle était acceptée, entraînerait des coupes massives (6 %) dans les budgets les moins protégés légalement, dont ceux de la formation, de la recherche et de la coopération au développement, mais aussi ceux de l'agriculture et de la défense (d'où l'opposition qu'elle suscite à droite), les subventions sportives et culturelles, et même les crêches. Les transports publics seraient privés de 250 millions de francs par an. Et cela pourquoi ? Pour plus de routes, plus de trafic, plus de pollution. Et plus de mobilité ? Même pas : l'offre de route créée du trafic routier supplémentaire (c'est d'ailleurs l'une des raisons de notre opposition à la foutraque "traversée du lac" de Genève...

Attribuer à la route ce que ses usagers automobilisés paient ? c'est aussi pertinent que le serait d'attribuer aux aux fumoirs le produit d'un impôt sur le tabac, ou aux brasseries le produit d'un impôt sur la bibine. Mais il y a plus :   Aujourd'hui déjà, ce que paie le trafic automobile ne couvre pas ce qu'il coûte (il s'en faut de plus de cinq milliards), et c'est la collectivité qui doit assumer une part importante des coûts liés aux atteintes à l'environnement et à la santé, aux accidents, au bétonnage du territoire... Et quand les partisans de l'initiative geignent sur l'affectation aux transports d'une partie du produit des taxes et impôts payés par les transports privés, on leur rappellera que l'année 2005 est la seule et unique où les transports publics ont reçu plus d'argent public que la route "privée", que le prix de la vignette n'a pas bougé depuis vingt ans, que l'impôt sur les carburants n'a pas changé depuis 23 ans, que la surtaxe est immuable depuis 42 ans... mais que les conséquences du primat du transport routier privé sur les autres modes des transport sont de plus en plus lourdes financièrement... et que les tarifs des transports publics, eux, n'ont cessé d'augmenter...

Le lobby routier voudrait que tout ce que "la route paie" retourne à la route ? Inversons le propos : et si la route payait tout ce qu'elle coûte ? Au moins, alors, la "vache à lait" mériterait qu'on l'honore comme telle. A l'heure de la traite. D'ici là, laissons-la meugler...

* impôt sur les carburants et surtaxe, impôt sur l'importation des véhicules, RPLP, vignette et TVA

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