Vers un retour subreptice des congés-vente à Genève ?


Une truanderie se répète

Depuis 1985, grâce à une initiative de l'Asloca largement acceptée par le peuple, la pratique des "congés-vente" est interdite à Genève. De quoi s'agissait-il ? Du "choix" laissé aux locataires d'appartements dont les propriétaires espéraient tirer plus grand profit qu'en les louant -un choix résumé ainsi : "achetez ou partez !". L'interdiction de cette pratique gêne évidemment les propriétaires et les spéculateurs. Ils ont donc tenté, et trouvé pour cela une majorité au parlement (grâce au MCG, en pointe dans cette truanderie comme dans toutes celles lancées contre le droit au logement et la protection des locataires) pour insérer dans la loi un moyen de contourner le vote de 1985, et de rétablir, sans le dire, les "congés-vente", au prétexte d'"autoriser les locataires à acheter leur logement" -ce que rien pourtant ne les empêche de faire s'ils le souhaitent réellement et que leur propriétaire est vendeur à un prix à leur portée. On votera le 5 juin sur ce retour subreptice des "congés-vente", masqué par une campagne menée à coup de centaines de milliers de francs par des comités factices de propriétaires déguisés en locataires. Comme s'il ne suffisait pas de truander les locataires, et qu'il fallait aussi truander leurs votes.


"C'est aux doux sons de l'appeau que l'oiseleur trompe l'oiseau" (Caton)


L'origine parlementaire du projet de loi réintroduisant les "congés-vente", il faut la chercher au MCG, désormais domestiqué (et financé) par la frange la plus revancharde des milieux immobiliers genevois. Et l'arnaque, c'est, en suscitant des comités-bidons de locataires derrière lesquels se planquent des propriétaires, de faire passer une proposition de loi rédigée par, et votée pour, ces milieux, pour une proposition favorable aux locataires. La méthode, d'ailleurs est compréhensible : prêcher, dans une votation portant sur le droit au logement, les lois du marché et les droits sacrés des propriétaires, ça fait au moins cinquante ans qu'à Genève c'est le meilleur moyen de se prendre une torgnole électorale. Alors on farde, on leurre, on camoufle. On truque. Et ça peut fonctionner -ça a d'ailleurs déjà fonctionné, pour une précédente arnaque du même genre, en juin 2014, supposée favoriser la transformation de bureaux en logements. On avait alors vu fleurir sur les panneaux d'affichage et dans les mots d'ordre pour la votation populaire, un "collectif pour des logements abordables" et une "Association genevoise des locataires progressistes" financés par les multipropriétaires Barbier-Muller et Zacharias. Sans parler de l'improbable et virtuelle "association de locataires" Proloc, payée par les mêmes milieux -et même logée par eux.

"C'est aux doux sons de l'appeau que l'oiseleur trompe l'oiseau" disait Caton. C'était déjà en se faisant passer pour leurs défenseurs que les porte-valises des propriétaires et des spéculateurs avaient réussi l'année dernière à convaincre des locataires et des demandeurs de logements que leur loi sur la transformation de bureaux en logements va permettre la mise sur le "marché" de logements qu'on aura même pas besoin de construire. Et qu'on a pas vu arriver. Cette année, les mêmes oiseleurs cuicuitent aux mêmes oiseaux qu'ils vont les aider à passer du statut misérable et pouilleux de locataires au statut gratiné de propriétaires (endettés jusqu'au cou après avoir rempli les poches du vendeur de leur appartement).

Actuellement, la Loi cantonale sur les démolitions, transformations et rénovations de logements (LDTR) permet déjà, mais à des conditions strictes, la vente d'un appartement à son locataire. La modification de la loi sur laquelle on votera le 5 juin, sur référendum de l'Asloca et de la gauche, supprimerait ces conditions : elle autoriserait un propriétaire à vendre son logement à un locataire si ce dernier l'occupe depuis au moins cinq ans. Les premières victimes de ce retour subreptice des "congés-vente" seraient les locataires d'appartements anciens à bas loyer, sur qui pèsera la menace d'une résiliation de bail s'ils ne peuvent pas acheter leur appartement : le droit fédéral, en effet, permet déjà la résiliation d'un bail pour vendre à un tiers. Les secondes victimes seraient les futurs et potentiels locataires d'un logement : les propriétaires ne loueraient plus qu'à ceux qui ont déjà ou prévoient d'avoir, les moyens d'acheter un jour leur appartement. Certes, la loi plafonne le prix de vente d'un appartement à son locataire à 6900 fr le m2, mais on sait déjà que ce maximum théorique serait attaqué en justice, avec toutes les chances de succès. Et ce plafonnement ne vaut que pour la première vente : un locataire qui aurait pu acheter son logement à ce prix plafonné pourra le revendre immédiatement au prix qu'il veut, la majorité parlementaire ayant refusé d'inscrire dans la loi l'obligation faite d'habiter l'appartement acheté. Ce genre de ventes en cascade concourra à faire encore monter le niveau des loyers à Genève. Comme s'ils avaient besoin de cela...

En 2004 déjà, les milieux immobiliers et leurs porte-valises parlementaires avaient fait voter par le Grand Conseil un projet de loi réintroduisant les "congés-vente". Attaqué en référendum,ce projet avait été refusé par le peuple. Les mêmes milieux récidivent aujourd'hui ? Un nouveau "non" s'impose, pour les mêmes raisons que le précédent. Et malgré l'enfumage organisé à coup de comités-bidons par des propriétaires se faisant passer pour des locataires, et des laquais se faisant passer pour des philanthropes.

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