Vers une acceptation de l’initiative "pour le service public" ?


Le piège est ouvert...

Selon le premier sondage en ligne du groupe Tamedia, l'initiative "pro service public" serait massivement acceptée (58 % des sondés la soutiennent, 27 % s'y opposent), en particulier au sein des électorats de l'UDC, du PS et des Verts. L'électorat de gauche serait donc favorable à une initiative que les partis de gauche appellent à combattre. Pourquoi les défenseurs traditionnels et patentés du service public combattent-ils une initiative qui proclame vouloir précisément défendre le service public ? Et pourquoi la Fédération romande des consommateurs (FRC) ne soutient-elle pas cette initiative, lancée par des journaux de défense des consommateurs ? Parce que l'initiative est mal foutue et dangereuse. "On ne peut pas résoudre les problèmes de trois entreprises totalement différentes -la Poste, les CFF et Swisscom- avec une même solution. Il faut privilégier des approches par secteur (...) (et) définir d'abord c qu'est le service public avant d'en définir les modalités", résume le secrétaire général de la FRC. Reste à en convaincre l'électorat de gauche, plus inquiet des dérives du service public que des menaces que fait peser sur lui une initiative qui porte sa défense en sautoir. Le piège est ouvert, mais il l'a été par par les directions des service publics, et leurs tutelles politiques...


Et si on parlait sérieusement des services publics ?

Et si on parlait sérieusement des services publics ? Foin des définitions juridiques, administratives : un service public, ou une entreprise publique, c'est un service ou une entreprise qui concrétise des droits fondamentaux en échappant à la logique marchande. Cette définition correspond-elle à ce que nous considérons encore comme un service public ? A la Poste, aux CFF, à Swisscom ? Lancée par des journaux de consommateurs, l'initiative s'appuie sur un constat d'évidence -celui d'une dérive marchande des services publics, devenus entreprises en mains publiques, plus soucieuses de rentabilité que d’accessibilité tarifaire et de qualité de prestations. Parler sérieusement des services publics dans ce pays, en n'évoquant (pour le moment) que les services publics fédéraux, c'est rappeler, par exemple, que 1800 bureaux de poste ont été fermés, que des boîtes aux lettres sont supprimées, que le prix de nos billets de train est sans doute le plus élevé au monde, qu'ils sont bondés aux heures de pointe, que les lignes secondaires sont de moins en bien desservies, que depuis 1998, le Parlement fédéral n'a cessé de remettre en cause la notion même de service public, et les moyens de le remplir, en démantelant les PTT et en transformant les régies fédérales en sociétés anonymes et en ouvrant leur capital à l'investissement privé... Mais en interdisant aux entreprises publiques de faire du bénéfice, l'initiative veut aussi leur interdire de financer des prestations non-rentables par des prestations rentables (et les inciter ainsi à abandonner les premières), et de financer, par leurs apports financiers à la caisse fédérale, la formation, la recherche, la coopération au développement, les transports publics... Et c 'est en cela qu'elle est dangereuse.

L'initiative des consommateurs s'inscrit, fort logiquement, dans une logique consumériste : payer le moins cher possible pour des prestations de la meilleure qualité possible. Si elle s'en tenait là, la gauche et les syndicats l'auraient soutenue. Mais elle s'inscrit aussi dans une logique de privatisation rampante des services publics et des entreprises publiques. Ainsi, L'OCDE recommande à la Suisse d'abandonner sa participation majoritaire dans Swisscom, le Secrétariat d'Etat à l'Economie (Seco) salue favorablement cette recommandation, et des élus PLR et UDC emboîtent le pas. Le syndicat Syndicom s'oppose, au nom du personnel, à cette évolution, en rappelant que le développement positif de l'entreprise n'a été possible que grâce à la stabilité apportée par la participation majoritaire de la Confédération à son capital, que cette stabilité a permis des investissements à long terme dans les nouvelles technologies et l'infrastructure de réseau, que la stratégie de l'entreprise rapporte chaque année un demi-milliard à la Confédération et lui a rapporté 19 milliards en une quinzaine d'années, et qu'il n'y a aucune raison que les bénéfices de ces investissements rendus possibles par la participation majoritaire de la collectivité publique finissent dans les poches d'investisseurs privés opportunistes -pas plus qu'il n'y a de raison pour que ces bénéfices ne puissent financer des prestations déficitaires.

Il n'y a pas de désamour des Suisses pour leurs services publics -il y a, pour le moins, une inquiétude, et pour le plus un refus, de ce qu'ils menacent de devenir. Et c'est cette inquiétude, et évidemment ce refus, qui nourrissent les chances de l'initiative, et le soutien que semble lui apporter l'électorat populaire de l'UDC et de la gauche.

Commentaires

Articles les plus consultés