Voile et vapeurs


Petits échauffements genevois avant la Pentecôte
     
Il est des polémiques qui découragent l'intelligence. Ce n'est pas que leur objet soit insignifiant, c'est qu'y prennent part des intervenants que rebute l'effort de comprendre (du latin comprehendere, saisir...) ce que dit l'autre -"comprendre" intellectuellement, comprendre   sans empathie, comme on peut comprendre ce que dit ou écrit quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord, voire un adversaire, et même un ennemi : comprendre ce qu'il dit, c'est bien une condition nécessaire pour le contredire, ou le combattre, avec un minimum d'efficacité. Ainsi peut-on être athée  et faire l'effort de comprendre ce que disent Pascal ou Augustin. Ou être anarchiste et faire l'effort de comprendre ce que disent Marx ou Lénine. Mais dans la polémique foireuse qui égaie Genève à propos du port du foulard supposé "islamique" par des employées de l'Etat ou de la Ville, cet effort semble hors de portée neuronale de ceux qui s'acharnent à n'entendre que ce qu'ils ont envie d'entendre, même lorsque l'autre ne l'a pas dit.  Comme si une connexion ne se faisait pas entre l'émettrice qui dit "le voile, je m'en fous" et le récepteur qui comprend (ou fait semblant de comprendre) "le voile, je l'encourage"...

Elle porte foulard ? Ils apportent milliards...

Dans une intervention à la radio (RTS), dans l'émission "Forum", la socialiste Sandrine Salerno, conseillère administrative de la Ville de Genève, a estimé que le port du voile au sein d'une institution de la petite enfance ou au guichet de l'administration de l'Etat n'était pas le « tout premier problème que l'on devrait appréhender », qu'elle était plus préoccupée par des questions d'égalité salariale entre homme et femme, et que "ce n'est pas au pouvoir politique, essentiellement masculin, chrétien et quinquagénaire, de décider si cela est bien ou pas», mais que c'était aux femmes elles-mêmes à en décider. Traduit, résumé, expurgé et simplifié par quelques uns pour quelques autres dont les premiers supposent sans doute qu'ils ne pourraient pas comprendre ce que la socialiste a déclaré sans qu'on leur en livre une version expurgée et interprétée, ça a donné quelque chose du genre "Salerno affiche son soutien au port du voile". Elle a beau préciser que sa prise de position « ne porte pas sur le voile mais plus largement sur les attributs religieux » (bon, à sa place, on aurait évité de parler d'« attributs », y'en a encore qui vont lui faire dire ce qu'elle n'a pas dit mais qu'ils avaient envie d'entendre...) et que « ce qui compte, c’est que le fonctionnaire délivre la prestation de manière indifférenciée, quelle que soit la personne à qui il s’adresse », rien n'y fait : elle n'a pas condamné le port d'un foulard par une employée municipale, ergo elle est, syllogisme imbécile, pour le port du voile, du niqab, du hidjab et de la burqa. Et sans doute aussi pour la lapidation et l'excision.

Toute la droite monte au créneau : la PLR Natacha Buffet-Desfayes déclare, en faisant allusion à une loi sur la laïcité qui n'a pas encore été votée, qui n'est même pas encore sortie de commission et qui, lorsque le Grand Conseil l'aura votée (s'il l'a vote) fera peut-être (on l'espère) l'objet d'un référendum,  que "la Ville devrait faire figure de modèle dans le respect des lois à venir », sans en connaître l e contenu. Appliquer un droit putatif. C'est ce qui s'appelle prendre de l'avance sur l'Etat de Droit et l'état du droit... Le PDC Lionel Ricou estime quant à lui qu'"un fonctionnaire au service de la collectivité n’a pas à afficher de couleur partisane ou religieuse". Le PDC en défenseur de la laïcité, faut bien avouer que c'est assez plaisant (même si à Genève, les papistes ont été les premiers bénéficiaires de la laïcité, comme les protestants et les juifs l'ont été en France), mais on se demande tout de même comment va devoir se débrouiller le "fonctionnaire au service de la collectivité" pour exercer sans afficher sa "couleur partisane" son droit d'être  candidat à une élection, voire être élu au Conseil municipal (ou au grand conseil), s'il est membre d'un parti se définissant lui-même comme "chrétien" ? Il va voiler le "C" de PDC ? Quant à Pierre Maudet (il fallait bien qu'il s'en mêle), il brandit (en tant que Ministre des Cultes ?) une "interdiction faite aux fonctionnaires de l’Etat et des communes en contact avec le public d’afficher ostensiblement, ou pire de façon ostentatoire, leur appartenance religieuse" (on adore le "ostensiblement, ou pire de façon ostentatoire" : il est vrai que l'ostentation ostentatoire, c'est pire que l'ostentation pas ostentatoire), interdiction dont on ne sait dans quelle loi il a bien pu la trouver... Certainement pas dans la constitution, muette au-delà d'un principe rhétorique (la laïcité) contredit deux alinéas plus loin par la reconnaissance des "communautés religieuses"). Sans doute dans la "loi à venir" dont sa collègue de parti exige le respect avant qu'elle soit advenue (la loi, donc, pas la collègue).

Pour parler de nous, enfin, c'est-à-dire de la gauche, on dira (mais le comprendra-t-on mieux que ne l'a été la prise de position de Sandrine Salerno ? Un lourd doute plane...) qu'elle à mieux à faire que reprendre les délires écôniens ou les dégueulis de "Riposte Laïque" : il n' y a rien de politiquement utile (sauf pour ceux que nous avons à combattre, évidemment, islamiste compris) à faire d'un foulard, islamique ou non (ou d'une barbe, djihadiste ou non) l'ennemi principal, comme s'il était devenu beaucoup plus important de s'en prendre à une employée municipale portant foulard qu'aux potentats saoudiens, émiratis ou qataris installés dans de petits palaces sur les bord (privatisés) du lac. Il est vrai qu'on peut faire des affaires avec ces parrains de l'islamisme. On peut leur vendre des villas. On peut leur vendre des armes, aussi. Et leur dérouler un tapis rouge de prière commerciale aux Fêtes de Genève. Et en s'aplaventrissant devant leur fric, on peut, quant on est courtier en immobilier, se faire des couilles (halal) en or. Que pèse l'employée municipale, comparée à eux ? Rien. Elle porte foulard ? Ils apportent milliards... On ne s'étonnera donc pas que des PLR, des UDC, des MCG (et même des PDC) s'en prennent à elle (ou au Conseil administratif s'il ne veut pas, lui, faire de son foulard une affaire d'Etat) plutôt qu'à eux, si on s'autorisera à s'étonner qu'à gauche il y ait quelques tentations de prendre cette vessie pour une lanterne. Plus égoïstement, enfin, la dernière des choses qu'on est prêts à accepter, c'est bien que l'Etat, ou la Ville, ou une église, ou qui que ce soit d'autre, nous dise comment nous habiller (ou nous déshabiller : "Ne nous dites pas comment nous comporter", lance "Slutwalk" -la "marche des salopes"- à ceux qui sont toujours prompts à excuser les violeurs par la tenue vestimentaire des violées).

Sur ce, frères et soeurs, bonne Pentecôte : l'Etat laïc et républicain vous accorde congé en cette fête religieuse. Grâces lui en soit rendues et que la vérité vraie vous touche de ses langues de feu . Amen.

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