Comique de répétition : Genève (re)vote la traversée de sa gouille


Une étape vers une impasse

Un peu moins de 63 % des votant-e-s genevois ont accepté d'inscrire dans la Constitution de la République le principe d'une traversée routière du Petit Lac. C'est la deuxième fois que les Genevois et voises acceptent le "principe" d'une traversée routière de leur gouille : la première fois, en 1988, c'était la rade qu'il fallait traverser, en pont ou en tunnel. Le principe avait été accepté (à une plus forte majorité que celle obtenue dimanche pour la traversée du Petit Lac) en vote populaire, sa concrétisation en avait été coulée en vote populaire huit ans plus tard. Bis repetita ? C'est vraisemblable : on n'a voté ni sur un tracé, ni sur un projet, on n'a pas choisi entre un pont ou un tunnel, on ne sait pas combien de milliards ce machin va coûter (au moins trois et demi, alors que les projets refusés par le peuple en 1988 "ne" coûtaient "que" moins de 500 millions...)  et on ne sait pas où les trouver, mais on en a voté le principe. C'est une "victoire d'étape", chantent les partisans de la traversée. Peut-être. Mais dans une course vers une impasse.


Laissons les géfyrolâtres et les sirangomaniaques à leur crédo

Voilà, c'est fait, la traversée routière du Petit Lac est inscrite dans la Constitution genevoise. Comme la laïcité. Elle tient pourtant de l'invocation religieuse ("il faut y croire", prie l'éditorialiste de la "Julie" d'hier -c'est dire qu'il s'agit d'un acte de foi, pas d'un choix rationnel). Mais laissons les géfyrolâtres (adorateurs des ponts) et les sirangomaniaques (maniaques des tunnels) à leur crédo : quand il s'agira de voter sur autre chose qu'une invocation, quand il s'agira pour les Genevois de voter sur des crédits d'étude, un projet précis, un tracé, des crédits de réalisation, un péage, la raison reprendre ses droits. Et la réalité. Et la nécessité de choisir entre une infrastructure qui sera obsolète le jour de son inauguration et une politique de la mobilité correspondant aux réels besoins de la population de toute la région, et pas seulement à l'envie des touristes suédois de gagner une demi-heure sur le trajet en voiture vers Naples. 

Dans son appel à accorder un "oui" enthousiaste" à la traversée routière du Petit Lac, l.e TCS ne faisait pas dans la dentelle rhétorique : l'éditorial de son journal convoquait Genève rien moins qu'à un "rendez-vous avec son histoire", une "occasion à ne pas manquer". Quel rendez-vous, avec qui ? quelle occasion ? celui et celle d'inscrire dans la constitution cantonale le principe d'une traversée routière du Petit Lac. Qu'est-ce qu'une infrastructure routière a à faire dans la charte fondamentale de la République ? Rien. Mais peu importe : on l'y a mise. Elle y trônera aux côtés de la bouffonne "liberté de choix du mode de transport" dont tous les conducteurs de chars à boeufs dans les rues basses rêvaient. La traversée du lac est dans la constitution  ? qu'elle y reste. Et n'en sorte pas. Ni pour se poser sur le lac, ni pour ramper dessous.

Il faut laisser du temps au temps : il réglera plus sûrement le problème, avec la mise en service du CEVA et l'élargissement de l'autoroute de contournement, que les tables-rondes, les concertations, les réunions et les comités d'experts que Lulu nous annonce. Avec la gauche, un tiers des votants, la majorité des arrondissements de la Ville et la commune de Puplinge s'opposant au principe même de la traversée routière du Petit Lac, et avec la Confédération (et la moitié de la représentation genevoise au parlement fédéral) qui n'en a rien à cirer, on peut dormir tranquilles à la Pointe-à-la-Bise : les oppositions au tracé de la traversée, au choix du pont plutôt qu'au tunnel (ou l'inverse), au coût, au péage, s'ajoutant à l'opposition de principe à toute traversée,  les votes succédant aux oppositions et aux recours, on fera en sorte d'avoir instauré un revenu de base inconditionnel avant que les travaux aient commencé -si jamais ils commencent -pour une traversée qui se fera finalement à pied sec, quand le réchauffement de la planète aura asséché le lac lui-même sans qu'on ait eu besoin d'assécher les finances publiques pour construire un pont dessus ou un tunnel dessous.

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