Large approbation populaire de la loi sur l'asile : et après ?


La loi, et après ?

ça n'a pas traîné : le lendemain du vote largement favorable à la nouvelle loi sur l'asile (à plus de deux contre un, aucun canton ne manquant à l'appel du "oui"), la droite démocratique se vautrait sur les plate-bandes de l'UDC pour exiger une application la plus stricte (pour ne pas écrire : la plus aveugle) possible des dispositions les plus restrictives de la loi, la mise en oeuvre la plus rapide et la plus effective possible des renvois, et l'application la plus prudente (pour ne pas écrire : la plus insignifiante) possible des avancées contenues dans la loi. Sur quoi, le jour suivant, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga rappelait à l'ordre le canton de Vaud, coupable de ne pas exécuter assez promptement les décisions fédérales de renvoi... Alors bien sûr que la situation serait pire encore (pas pour nous : pour les réfugiés) si la loi avait été refusée, puisque même en menant pas vraiment campagne, c'était le parti xénophobe et tribal qui constituait le coeur de l'opposition à la loi soumise au peuple... et qui geint en attribuant sa défaite à la "machine de propagande" créée par le Conseil fédéral pour "duper le peuple"...  A l'inverse, la socialiste Cesla Amarelle se félicite que le peuple ait "saisi les réels enjeux  cette votation" et de ce que l'on puisse désormais aborder la question de l'asile "plus sereinement". Bel optimisme. Démenti toutefois par l'offensive de la droite sitôt le vote acquis. Le "front commun" des partis gouvernementaux en faveur de la loi n'était pas un "front républicain" contre la xénophobie -seulement une alliance contre l'UDC. Une alliance de circonstance, ne présageant rien dont on puisse se réjouir. Et ne répondant pas à la question : la loi a été approuvée, qu'en faire ?


"Le repentir n'est pas une vertu" (Spinoza)

Amnesty International invitait, comme l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, le PS et les Verts (au niveau national) à voter "oui" à la nouvelle loi. Amnesty justifiait ce "oui" par sa conviction que l'assistance juridique systématique garantit "une procédure d'asile équitable, transparente et de meilleure qualité", basée sur des "dossiers bien plus complets que dans la procédure actuelle". Dès lors, "le risque de décisions erronées est minimisé". En outre, "les cantons auront dorénavant l'obligation de scolariser les enfants hébergés dans les centres fédéraux, ce qui fait cruellement défaut aujourd'hui". Enfin, l'argument tactique : "la restructuration de l'asile est politiquement acquise. La refuser le 5 juin prochain mènerait à un nouveau projet de loi encore plus restrictif". Les défenseurs de gauche de la loi relevaient en outre que l'accélération des procédures est de nature à favoriser l'intégration de celles et ceux à qui l'asile sera reconnu, et que l'accroissement de la capacité d'accueil dans des centres fédéraux, et le droit de travailler qui serait reconnu aux requérants (dans la procédure étendue), sont porteurs d'améliorations réelles de la situation des réfugiés.
L'éditorialiste du "Courrier" était, comme les défenseurs du "non de gauche", d'un autre avis : la loi consacre déjà "un véritable durcissement", qui légitimait l'opposition de gauche, essentiellement romande, qui appelait à voter "non". Les mesures "urgentes" adoptées en 2013, et qui devraient prendre fin en 2019 (encore qu'elles auraient pu  être intégrées dans une nouvelle modification de la loi si celle soumise au vote du 5 juin avait été refusée), sont pérennisées par le projet porté par Simonetta Sommaruga : il en est ainsi de la suppression de la possibilité de déposer une demande d'asile dans une ambassade de Suisse, et de l'invalidation de la désertion comme motif d'asile. En outre, le délai de recours contre une décision de refus d'asile passe de 30 à 7 jours.
Entre la position d'Amnesty et celle du "Courrier", il y avait celle du Centre social protestant et des socialistes genevois, appelant à un vote blanc signifiant la double opposition aux durcissements contenus dans la loi et au discours mensonger (pour le moins) tenu par les référendaires.

Résultat : la loi sur l'asile a été acceptée à 66,8 % des suffrages. Du tiers des suffrages s'étant prononcés pour son refus, l'essentiel a été fourni par l'électorat de l'UDC et de ses satellites locaux (MCG, Lega...). Ce tiers de votes pèse lourd, et va peser lourd dans l'application de la loi, que l'UDC -mais aussi, désormais, le PLR et le PDC, veulent la plus stricte possible. ça veut dire quoi, "la plus stricte possible" ? ça veut dire qu'on ne regarde pas les personnes à qui la loi s'applique, mais seulement les texte de la loi elle-même. ça veut dire qu'on fonctionne mécaniquement, comme Simonetta Sommaruga l'enjoint au canton de Vaud (la loi ne donne aucun espace d'appréciation aux cantons à propos d'une décision d'expulsion), et comme Pierre Maudet proclame urbi et orbi vouloir le faire à Genève. Les critères d'intégration ? On les oublie. La situation familiale ? on l'ignore. Les parcours personnels ? On s'en fout. Mais qui est, à quoi ressemble, ce "on" revêtu de l'armure de la loi-qui-est-dure-mais-qui-est-la-loi-et-qu'il-faut-appliquer ? Un rouage ? une mécanique ? Disons qu'en tout cas, la loi sur l'asile, il faudra en user à l'inverse de ce que l'UDC, le PLR et le PDC recommandent : en user avec ce qu'elle permet à une défense du droit à l'asile. Quitte à ce que ce soit contradictoire de ce qu'elle permet aussi à une restriction de ce droit.

Et tout cela nous replonge dans une vieille histoire : Quand, déjà, a-t-on réhabilité le chef de la police Saint-Galloise, Paul Grueninger, condamné à l'époque pour avoir eu le courage de ne pas appliquer la loi exigeant le renvoi de réfugiés juifs sous la botte nazie ? Et quand déjà a-t-on condamné Maurice Papon pour avoir, lui, à la même époque appliqué la loi autorisant la rafle des juifs, enfants compris, pour les remettre à l'occupant nazi ?
On s'est repenti, certes, d'avoir puni celui qui obéissait à sa conscience avant d'obéir à la loi, et de ne pas avoir puni celui qui obéissait à une loi scélérate parce que c'était la condition de sa carrière. On s'est repenti, mais «  le repentir n'est pas une vertu »  (Spinoza). La vertu aurait été, et sera de désobéir. Comment faire comprendre cela à un Conseiller d'Etat ou une Conseillère fédérale, sans attendre septante ans pour que la désobéissance soit légitimée ?



 

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