Services publics : l'initiative balayée, les vrais enjeux restent


On a voté, reste à clarifier

Mal foutue, ambiguë sur certains de ses aspects, dangereuse sur d'autres, et d'origine douteuse (les magazines consuméristes), l'initiative "Pro Services Publics" a été très nettement refusée par le peuple des consommateurs, des usagers et des citoyens. Une bonne chose de faite : ce texte, même soutenu par quelques militants de gauche (comme Olivier Cottagnoud, Denis de la Reussille ou Michel Zimmermann) plombait le débat sur le service public. Il eut pourtant le mérite de le relancer, même de manière contestable, et de porter dans un débat politique national le constat des insuffisances du service public, et les contradictions de sa gestion : comment, en effet, admettre (sauf à se résigner à ce que les critères des entreprises privées s'appliquent aux entreprises publiques)  que la directrice de la poste puisse toucher 300'000 francs de bonus en 2015 alors que des centaines d'offices postaux ont été purement et simplement fermés ?  Pour l'en féliciter ? Le vote du 5 juin n'a rien clos, il a seulement déblayé le terrain du débat. Et révélé l'urgence d'en clarifier les enjeux.

Mal poser de bonnes questions, et mal y répondre

Comme s'il fallait donner un petit coup de pouce à l'initiative populaire "en faveur du service public" avant le 5 juin, le président bientôt sortant des CFF, Ulrich Gygi, avait annoncé une prochaine hausse des tarifs (un prix flexible, aux kilomètres parcourus) et lancé la proposition de lancer un pseudo-abonnement général qui ne serait plus valables aux heures de pointe, ou qui ne donnerait droit qu'à un nombre limité de trajets . Objectif : faire payer plus cher les pendulaires, considérés comme des "profiteurs de l'abonnement général". Des propos "irresponsables", pour les opposants à l'initiative, et démentis par la direction des CFF et leur future directrice, Monika Ribar. Des propos qui, en tout cas, résument assez bien la conception qu'ont des services publics ceux qui aujourd'hui les dirigent et les gèrent, en oubliant volontairement que les critères et les missions d'un service public ne sont pas ceux d'une entreprise privée, et en privilégiant la rentabilité, voire le profit, à l'offre égalitaire de prestations au plus bas coût possible pour l'usager (et non le "client").

Qu'attend-on d'un service public ? La Chancellerie fédérale le résume assez bien dans la brochure de présentation des enjeux de la votation du 5 juin : "que la fourniture de (ses) prestations soit de très grande qualité dans toutes les régions du pays, même si cela n'est pas rentable sur le plan économique". L'initiative était, sur ce point, d'accord, puisqu'elle postulait que les entreprises publique comme Swisscom, La Poste ou les CFF ne doivent pas viser de but lucratif dans le délivrement de leurs prestations. Et que si des bénéfices devaient être réalisés, ils devaient rester dans l'entreprise, sans être distribués aux actionnaires lorsqu'actionnaires il y a -même s'il s'agit de la Confédération. Mais le texte était ambigu : il interdisait les "subventionnements croisés" (financement d'un service non rentable par un service rentable) sans préciser s'il s'agit d'un "croisement" au sein du secteur public fédéral dans son ensemble, entre les entreprises publiques ou entre les entreprises et la caisse fédérale.

L'initiative posait mal de bonnes questions, et y répondait mal. La quasi-totalité des syndicats combattaient l'initiative, qu'ils considéraient comme profondément nocive pour le service public qu'elle prétendait défendre. Les trois grands syndicats du secteur public fédéral, et des trois principales entreprises publiques concernées par l'initiative le SEV pour les CFF, Syndicom (pour Swisscom et la Poste) (communication et poste) et le SSP (services publics en général) ne s'opposaient pas à l'initiative par corporatisme mais parce qu'elle mettait en cause à la fois un principe et une ressource financière : le principe, c'est celui, au coeur de la définition même d'un service public, que l'égalité d'accès à ces services prime sur leur équilibre financier et le calcul de leurs coûts réels. La ressource, c'est celle qu'apportent les services rentables à ceux qui ne le sont pas. Ce discours tenu et ce mot d'ordre donné, et l'initiative balayée, il faudra bien aux syndicats et aux partis de gauche aller un peu plus loin dans la défense et le renforcement du service public. Et même dans sa définition.


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