Traversée routière du lac : Un rite raté, un mythe mité


"Pas de panique, on ne vote que sur un principe, la concrétisation, le financement, on verra plus tard", rassurent les partisans de la traversée routière du Petit Lac, pour convaincre les hésitants et rassurés les inquiets, avant le vote de dimanche. On est vachement rassurés. Ah bon, on ne vote que sur un principe, c'est sans engagement ? C'est comme la référence à "Dieu tout puissant" en tête de la Constitution fédérale, alors ? Une sorte de truc propitiatoire ? Un rite, un mythe ? On peut dire "amen" et aller se coucher ? Que non pas : si cette invocation est acceptée par le bon peuple genevois dimanche, gageons qu'on nous la resservira régulièrement, comme prétexte à ne rien faire d'autre pendant cinquante ans que tenter de lui donner réalité. En oubliant tout le reste. Et surtout en oubliant ce qui, rapidement, efficacement, sans saloper le lac et le paysage, sans ajouter du trafic aux bouchons et des bouchons au trafic, pourrait réellement "débloquer la mobilité à Genève" : le développement des transports publics, des réseaux continus et sécurisés de pistes cyclables et de parcours piétonniers. Le rite est raté et le mythe mité.

"Au nom de la traversée, amen"

Une "solution des années soixante" : c'est ainsi que le professeur Vincent Kaufmann, de l'EPFL, qualifie le projet récurrent et récuré de traversée routière de la rade, ou cette fois du Petit-Lac. Une solution que l'achèvement, dans deux ou trois ans, du CEVA, c'est-à-dire d'une ceinture de Cornavin à Annemasse, rendra définitivement obsolète. Du moins dans les faits. Parce que dans les têtes, comme on sait, les mythes ont la vie dure : Jesus marche sur les eaux et celles du lac de Genève (le Petit Lac) doivent être couronnées d'un pont ou recouvrir un tunnel. Et donc, les fétichistes de la traversée nous reviendront avec un projet, n'importe lequel pourvu qu'il soit d'une traversée routière, si suffisamment d'acquiescement à leur fétichisme se retrouvent dans les urnes du 5 juin. Il y a pourtant déjà un mandat, donné par le peuple il y a cinq , à respecter : celui du développement de la mobilité douce. On attend toujours un plan de sa concrétisation, alors même que son financement est possible sans apport extérieur, sans endettement, en utilisant des infrastructures existantes et des ressources disponibles.

On est donc dans le mythe. Dans quelque chose où la raison doit céder la place à la foi. Qui dans ce cas ne va pas sauver grand chose (la dernière roselière lacustre du canton, y serait d'ailleurs massacrée), va aboutir au résultat inverse (amener plus de circulation automobile en zone urbaine) de celui que l'on proclame, quelque chose de très coûteux (plusieurs milliards) qu'on ne sait pas comment payer (mais un mythe n'a pas de prix), quelque chose à quoi on s'accroche depuis plus d'un demi-siècle, et à quoi on entend s'accrocher encore pour toute la durée de vie de la constitution dans quoi on veut l'inscrire. Quelque chose comme la pierre noire de la Kaaba, le Saint Sépulcre ou le Mur des Lamentations. Notre "l'an prochain à Jerusalem" à nous, ce serait "dans vingt-cinq ans la traversée".


Ainsi, ce qui nous est proposé dimanche, c'est d'inscrire dans la constitution quelque chose qui n'a rien à y faire, et qui tient de la prière, du rite propitiatoire. Quelque chose comme la première phrase de la Constitution fédérale : "Au nom de Dieu tout puissant". Quelque chose comme "Au nom de la traversée toute urgente". Depuis... bah... soixante-cinq ans ? Aurait-elle l'éternité pour elle ? C'est l'avantage incomparable des mythes : il n'ont besoin d'aucune vérification. Seulement d'une répétition.
Une constitution ne serait-elle qu'un moulin à prière ?




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