14 juillet, 26 Messidor, jour du Père Ubu : Que reste-t-il des révolutions passées ?

Nous sommes aujourd'hui, 14 juillet, le 26 Messidor, et nous devrions célébrer ce jour comme celui du Père Ubu, dans le calendrier pataphysique qui nous est aussi cher que le calendrier républicain. Le 14 juillet, devenu fête "nationale" (autrement dit : de la récupération de la Nation par l'Etat, défilé militaire à la clef) fut d'abord une fête révolutionnaire. Qu'elle célébrât la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération, peu importe : c'est la Révolution qu'elle célébrait -la révolution française, archétype de toutes les révolutions qui suivirent, ou la Révolution majuscule, la Révolution en soi et pour soi. Encore faut-il s'entendre sur ce mot, "révolution". Et sur ce qu'il signifie, politiquement, historiquement -et pas astronomiquement. Et sur ce qui reste de cette signification, et du vieux dur désir de révolution, pour la révolution elle-même, non pour sa victoire -ou ce que l'on crut être sa victoire.

"Notre position est celle de combattants entre deux mondes "


Donc, on va parler de révolution. Une fois par année, on peut se le permettre (le reste du temps, on se contentera d'en rêver). Et après tout, le 14 juillet n'est pas la plus mauvaise date pour cela, quelque récupération dont ce jour ait été victime. La Révolution française n'est-elle pas la "Grande Révolution", l'archétype de toutes celles qui suivirent, et ne cessèrent de se référer à elle, à son cours, ses errances et ses impasses ? Une révolution victorieuse, alors ? "La "réussite" ou l'"échec" d'une révolution, référence triviale des journalistes et de gouvernements, ne signifient rien (...) pour la simple raison que, depuis les révolutions bourgeoises, aucune révolution n'a encore réussi (...). De tous les critères partiels utilisés pour accorder ou non le titre de révolution à telle ou telle période de trouble dans le pouvoir étatique, le plus mauvais est assurément celui qui considère si le régime politique alors en place est tombé ou a surnagé.", écrivaient naguère les situationnistes. Mais ce "naguère" a de la permanence, et ce constat de la constance :  Une révolution, ce n'est pas une prise du pouvoir, c'est un arasement. Une culture sur brûlis. Une révolution, ça ne respecte rien d'autre qu'elle-même. Et surtout pas des "droits acquis". Une révolution, ça commence précisément par les foutre à bas, les "droits acquis". Il n'y a pas de révolution pour le statu quo, s'il peut pour cette raison y avoir une résistance.  Et si une "révolution réactionnaire" est possible (la "révolution islamique" iranienne l'a prouvé), comme un grand retour en arrière pour se défaire d'une évolution qu'on rejette,  Il n'y a pas de "révolution conservatrice" possible : l'oxymore est joli, mais le concept est absurde -la révolution ne conserve pas, elle abolit. Ce que dit la révolution, c'est que rien n'est définitif. Aucun ordre, aucune loi, aucun système politique, social, économiquement.

"Notre position est celle de combattants entre deux mondes : l'un que nous ne reconnaissons pas, l'autre qui n'existe pas encore. Il s'agit de précipiter le télescopage.", écrit Raoul Vaneigem.  Vaste programme, que ce télescopage : On ne (re)fera plus de révolution sans avoir (ré)inventé la révolution, non comme prise du pouvoir, mais comme déprise de son emprise. Les révolutions, d’ailleurs, n’aboutissent jamais là où elles promettent d’aller : « Liberté, Egalité, Fraternité » accouche de Napoléon, « La Terre, la Paix, la Liberté » de Staline, d’autres eschatologies de Mao, des Khmers Rouges ou de Khomeiny. Et toujours de chefs, grands et petits. Car il y a ceci qui devrait être d'évidence, qu'un révolutionnaire au pouvoir est un contresens, une figure de l'absurdité, une incarnation de l'ironie de l'histoire qui fait d'anciens révolutionnaires des dictateurs particulièrement performants dans l'art de l'écrasement des peuples, et qui devrait convaincre quiconque appelle de ses voeux une révolution, qu'il n'est de révolution qui ne se trahisse une fois faite, ni de révolutionnaire que la victoire de la révolution ne corrompe.

Il nous reste peut-être à réinventer la réforme révolutionnaire (la Réforme protestante ne fut rien d'autre : une révolution religieuse, certes, mais aussi politique -à Genève, elle accouche d'une République-, sociale, culturelle, économique -elle est la matrice du capitalisme). Contre toute proclamation d’unification du monde, toute illusion de finitude de l’histoire, tout irénisme, le mouvement révolutionnaire (au sens le plus large que nous puissions donner à ce terme) semble en effet plus faible aujourd'hui que jamais, et cela tient sans doute à sa piètre capacité de se réapproprier sa propre histoire : de tous ses échecs, de toutes ses impasses, de toutes ses défaites et de toutes ses trahisons naît une richesse théorique et pratique dont il ne tient qu’aux révolutionnaires, s'il en reste, de faire usageOr nul révolutionnaire ne peut parler en un autre nom qu’en le sien ; la parole des révolutions est sans porte-parole, et ses actes sont sans mandataire. Chacun y engage ce qu’il consent à y engager, et n’est tenu que de se refuser à ce que ces actes et ces paroles se démentent les uns, les autres.
L'espérance révolutionnaire est l'espérance d'individus libres, autonomes, capables de se refuser à toute instrumentalisation, et de refuser ce que l'on exige d’eux. Que les autres se cherchent une église : ces étables sont faites pour ces veaux.

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