Brexcitation


Bon, ils sortent. Sans jamais vraiment être entrés.
   
    -Alors comme ça, ils partent...
- qui c'est qui part, et d'où ?
- ben les Anglais, de l'Europe, tu suis l'actu ou quoi ? parait que c'est un séisme...
- ah, parce qu'ils étaient en Europe, les Anglais ?
- ben faut croire, puisqu'ils en partent......

- et ils vont où ?
- chais pas... en Amérique, peut-être...
- et ils partent tout seuls ?
- non, avec les Gallois...
- ah. Et les Ecossais et les Irlandais ?
- eux, ils veulent rester...
- ah bon, Alors les Anglais et les Gallois partent, les Ecossais et les Irlandais restent... c'est comment le nom officiel de l'Etat, déjà ? ah oui, "Royaume Uni"...


"Un jour sombre pour l'Europe et la Suisse", vraiment ?


Ce sera donc "oui, on veut sortir". Pas un "oui" massif, mais un "oui" tout de même au "Brexit", la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. Pas la sortie de l'Europe (pas du Conseil de l'Europe, par exemple), mais de l'Union Européenne. Les Anglais et les Gallois ont majoritairement voté pour partir, les Ecossais et les Irlandais du nord majoritairement voté pour rester. Partir d'où, rester où ? Le Royaume-Uni avait un pied dans l'Europe depuis 1973, pour profiter de son marché, pour la surveiller et la freiner,  et un pied dehors (ni dans Schengen, ni dans la zone euro), côté américain. Il a retiré le pied qui était dedans. Il était sur le pas de la porte depuis quarante ans, il a reculé. Il reste avec sa livre, il retrouve ses frontières (et les impose aux Ecossais et aux nord-Irlandais qui ne voulaient pas de cette régression). L'Union Européenne additionnait 28 Etats, elle n'en additionne plus que 27. ça change quoi ? ça l'oblige à se réformer.  Comme d'ailleurs la Suisse des 22 cantons s'est réformée entre 1815 et 1848.  Alors, ce jour du "brexit", est-il vraiment tel que le résume le Parti socialiste, sur un ton delamuresque, "un jour sombre pour l'Europe et la Suisse" ? Plutôt un "jour sombre" pour les tentatives d'"Europe à la carte", et les concessions du genre de celles faites à Cameron pour lui permettre de plaider (inutilement, comme on  vient de le voir) contre le "Brexit", dans un référendum qu'il avait voulu pour de triviales raisons politiciennes, et dont le résultat le contraint à la démission.

En Suisse, d'ailleurs, on s'inquiétait. Et on s'inquiète encore plus, maintenant.. Pas du sort de l'Europe ou de celui de la Grand-Bretagne, mais de celui du franc. Et de celui des exportations suisses en Grande-Bretagne : le "Brexit" a fait chuter la Livre par rapport au dollar, à l'euro et au franc suisse, et abaissé encore un peu plus l'euro face à notre glorieuse monnaie refuge. Pas bon pour les exportations, ça. Ni pour le commerce local dans les régions frontalières. Et puis, ça rend caduques toutes les hypothèses de négociation avec l'Union Européenne sur l'application de l'initiative "contre l'immigration de masse". Parce que l'Europe va avoir autre chose à faire que négocier avec la Suisse. Et que la Suisse va devoir se démerder toute seule avec son initiative à la noix. Entre nous : bien fait pour elle : quand on vote des conneries, faut les assumer.

L'immigration, justement : Le vote portait-il réellement sur une sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne ? On peut en douter, tant la campagne des partisans du "Brexit" en avait fait un référendum sur la politique d'immigration -et un défouloir contre l'immigration, y compris de la part de quelqu'un comme Boris Johnson qui, quand il était Maire de Londres, chantait les mérites et défendait les droits des immigrants, jusqu'à proposer la régularisation des "illégaux présents au Royaume-Uni depuis plus de douze ans". Il est vrai que le vent à tourné, et qu'en Grande-Bretagne (surtout en Angleterre...), il souffle aujourd'hui de droite.De très à droite. Alors, quand on a des ambitions, on s'adapte. On oublie que le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l'Espace Schengen et ne respectait pas la "libre circulation". Et que si des milliers de migrants sont bloqués à Calais parce que la France s'est engagée à ne pas les laisser entrer en Grande-Bretagne, c'est parce que la Grande-Bretagne faisait partie de l'Union Européenne. Dès lors qu'elle n'en fera plus partie, il n'y aura plus aucune légitimité à ce que la France fasse la police des frontières de l'Angleterre...

Ce vote, c'était un peu l'Angleterre contre le reste du Royaume-Uni -mais aussi contre sa propre capitale. Un vote de l'Angleterre profonde "contre la capitale et les Celtes", résume un politologue. Un désastre politique, à long terme. En Irlande du nord, le refus du "Brexit" tenait du vote de survie de l'accord de paix qui a mis fin à un conflit armé de trente ans (succédant lui-même à un conflit armé, sporadique, d'un demi-siècle) entre républicains et loyalistes. Sortir de l'Union Européenne, c'était rétablit la frontière entre l'Irlande du nord, dans le Royaume-Uni et donc hors de l'Europe, et la République d'Irlande, indépendante du Royaume-Uni et dans l'Europe. Quant au Premier ministre gallois, il avait averti (comme le premier ministre écossais) que "si l'Angleterre vote la sortie et tous les autres votent pour rester" (le Pays de Galles a finalement aussi voté pour sortir), le Royaume-Uni ne pourra pas garder sa forme institutionnelle actuelle. En Ecosse, les nationalistes appelaient à voter "non" au "Brexit", mais ne porteront pas le deuil de Cameron lui-même, organisateur du référendum et adversaire prioritaire du mouvement national écossais.  Le Parti national écossais (SNP) faisait d'ailleurs campagne sans la coordonner avec celle des partis travailliste et conservateurs, puisque ces partis avaient fait ensemble campagne contre lui lors du référendum sur l'indépendance.

On jubile, on se catastrophise, on se tétanise après le "Brexit" : cela vaut-il cette Brexcitation ? Evidemment que non : ce n'est pas un séisme, peut-être juste un tremblement parkisonien, même si dans toute l'Europe, les extrême-droite fêtent le "Brexit" et rêvent d'en imposer une version dans leur pays respectif, la dinde frontiste française n'a pas été la dernière à célébrer ce petit noël europhobe. qui fait évidemment jubiler aussi, chez nous l'UDC. Aurions-nous jubilé de même si le "non" l'avait emporté ? Probablement pas : l'Europe, en effet, mérite mieux que l'Union Européenne telle qu'elle est...

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