Prendre une pause, se déprendre de nos poses


 Du temps libre, pas du temps vide

Voilà, nous sommes au mitan du beau mois de Messidor. On va donc se donner un peu du temps offert par le rituel vacancier estival.  Du temps non pour prendre des forces -il nous semble en avoir encore assez- mais pour prendre du recul, de la hauteur, de la distance, en n'étant plus tenu par un agenda rempli par d'autres. Réfléchir à ce qu'on va faire, et surtout aux raisons qu'on se donnera pour le faire. Prendre une pause, se déprendre de nos poses. C'est un mot idiot, que celui de "vacance", même mis au pluriel : il signifie le vide. Comme si on ne le rencontrait pas plus souvent, ce vide, dans les mois laborieux que dans les semaines de "vacances". Prenons donc du temps libre, non du temps vide. On a beaucoup parlé et écrit, depuis des mois, sur tout. Ou sur n'importe quoi, c'est comme vous voulez. On peut donc se taire pendant quelques semaines, quitte à rompre brièvement ce silence, non par devoir mais par envie.


"Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau..." (Charles Baudelaire)

Il nous en est tombés, des votes populaires, ces dernières semaines. Quelques uns qu'on a gagnés, beaucoup qu'on a perdus, et certains dont on ne sait si on les a gagnés ou perdus (celui sur la loi fédérale sur l'asile, par exemple). Et ce n'est pas seulement des votes chez nous, à Genève ou en Suisse, qu'on devrait s'astreindre à tirer quelques enseignements. Les élections espagnoles, par exemple, et la défaite de la gauche (l'ancienne, la nouvelle) : qu'est-ce qu'elles peuvent nous signifier à nous ? Et notre propre guerilla contre la commission municipale des naturalisations, comment en faire comprendre le sens à celles et ceux qui, à gauche, persistent à considérer cette instance parasitaire comme un lieu politiquement légitime ?
Il nous en reste, des choses à faire, bien plus que nous avons de temps pour les faire, et il en est que nous savons déjà que nous ne les ferons pas : par exemple, apprendre le gaélique écossais pour retourner le discours souverainiste contre ceux qui le tiennent en célébrant le "Brexit"...  Plus sérieusement, il nous faudra trouver le moyen, et le chemin, pour reprendre l'offensive là où depuis des années nos combats politiques ne sont plus que défensifs -sur le "front de l'asile", par exemple. Ou sur celui du soutien public à la création culturelle... C'est bien, c'est nécessaire, de combattre des coupes budgétaires imposées par la droite -mais si d'aventure elles étaient proposées par un exécutif de gauche, baisserions-nous les armes ?

Qu'est-ce que cela change, après tout, que l'on parle et écrive, ou se taise ? Qui nous demande de l'ouvrir ? Personne. Ne serions-nous pas, après tout, comme ce "gazetier fumeux, qui se croit un flambeau..." qu'évoque Baudelaire ? Pour paraphraser l'Oulipo, on dira que quand celui qui parle ne comprend pas ce qu'il dit et que celui qui écoute ne comprend pas ce qu'on lui dit, c'est du libéralisme; que quand celui qui parle comprend ce qu'il dit mais que celui qui écoute n'y comprend rien, c'est du socialisme; que quand celui qui parle comprend ce qu'il dit, et que celui qui écoute comprend ce qu'il entend, c'est du populisme. Mais que le comble, l'absolu, l'idéaltype du discours politique à son point d'achèvement, on l'atteint quand celui qui parle ne comprend pas ce qu'il dit mais que celui qui écoute, lui comprend ce que dit celui qui ne comprend pas ce qu'il dit... C'est vers cet absolu que nous acharnons, depuis 1628 numéros de cette feuille à nous diriger.


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