Koikonchante, keskonfête aujourd'hui ?

Sur nos monts quand le soleil...
   
La vice-présidente de l'UDC, Céline Amaudruz, et le vice-président du PDC, Yannick Buttet, ont sonné la charge contre les paroles, pourtant assez insignifiantes, proposée par la société suisse d'utilité publique (la SSUP) pour être celles, nouvelles, de l'hymne national suisse. Qu'est-ce qu'elle disent, ces paroles pleines de bons sentiments (à chanter sur la musique de l'hymne actuel) : "Sur fond rouge la croix blanche, symbole de notre alliance, signe de paix et d'indépendance, ouvrons notre coeur à l'équité et respectons nos diversités, à chacun la liberté, dans la solidarité, chantons d'une même voix sur fond rouge la blanche croix". Ouala. Et qu'est-ce qu'elle a entendu, Amaudruz ? "une nouvelle attaque contre notre passé, contre ce que nous sommes, menée une fois de plus par les tenants du cosmopolitisme triomphant". Et "le programme politique de la gauche". Un hymne socialiste, rien que ça. Et Buttet, alors, il a entendu quoi, lui ? Une volonté d'extirper Dieu de l'hymne national. Et d'accuser la Société suisse d'utilité publique de "nuire à la Suisse" et de "nier l'existence de la patrie". Des traîtres gauchistes, quoi. Et déicides. Bref, la SSUP est pleine, y'a un complot  et on va faire chanter aujourd'hui cette chose antipatriotique à Meinier (du coup le MCG a appelé à boycotter la fête) et même sur le Grütli (par le "choeur suisse des jeunes chanteurs", en quatre langues). Le PDC Butter et l'UDC Keller ont donc appelé en rétorsion à ce que la gestion du Grütli soit retiré à la SSUP.  Pour la confier en partenariat à l'ASIN et au Séminaire d'Ecône ?)...


"Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène" (Jean Jaurès)

En ce jour du 14 Thermidor, jour du basilic, et du 19 Tatane, jour de la Ste Taloche (matrone), jour décrété Fête Nationale de la Suisse, que sommes-nous supposés célébrer ? Notre patrie ? Mais avons-nous seulement la même, lorsque nous avons la même nationalité ? Et qu'y mettons-nous, dans ce mot de "patrie" ? Un mot qui, si l'on s'en tenait à son étymologie, signifierait la "terre du père". Pas de la mère, ou du frère, ou des enfants, ou même pas la sienne : la terre du père. Vieil héritage patriarcal dont on se demande ce qu'il peut bien signifier pour cette moitié de la population de notre pays qui, née en Suisse, l'est de parents ou de grands-parents nés ailleurs. Quelle était la patrie de Georges Haldas ? Genève, où il naquit, et dont il écrivit si bien, ou la Grèce, où naquit son père ? Quelle est la "patrie" des étrangers de la deuxième ou troisième génération, nés en Suisse (de parents nés en Suisse, pour les petits-enfants d'immigrants), éduqués en Suisse, travaillant en Suisse ? Le pays où ils vivent et dont ils sont, ou le pays d'où sont venus leurs parents ou leurs grands parents ? C'est à eux de choisir. Il en est sans doute de nos lecteurs et de nos lectrices, suisses ou étrangers, pour qui la Suisse est leur patrie. Non exclusive d'une autre, d'ailleurs. Que ceux-là et celle-là la célèbrent comme ils veulent (à Zurich, par exemple, un comité de jeunes propose une ÄmsFäscht célébrant la multiculturalité contre le racisme et l'exclusion, et à Plan les Ouates les socialistes font leur 1er août à eux...) -et il importe peu qu'ils la célèbrent ou non à date fixe, à une date qui ne correspond à rien d'autre que la volonté des héritiers de la révolution radicale de faire naitre dans un passé mythique l'Etat qu'ils étaient en train de construire.

Etre Suisse, c'est avoir un passeport suisse. Le choix de la Suisse comme patrie vient de surcroît. On se fait tous et toutes une "certaine idée" de notre patrie. Comme De Gaulle (et Mitterrand) s'en faisaient une de la leur -la France. Et on fait même plus que s'en faire une idée, de notre patrie. On la définit, on la désigne. On la fait. On décide qui elle est, et quelle elle est. Genevois, Bernois, Suisse, européen, terrien, c'est moi, et moi seul, qui décide de ma patrie. Qui décide que c'est Genève, et pas Berne ou la Suisse. Et pas n'importe quelle Genève : la Genève de Rousseau, d'Isabelle Eberhardt, de Georges Haldas, de Nicolas Bouvier, de Jean Starobinski. Pas celle des avocats d'affaires et des traders. Ni celle des aboyeurs du MCG. Qu'est-ce que cette patrie-là a à faire  du 1er août 1291 (ou 2016) ? D'un pacte qui n'en était pas un, qui n'a rien créé, et surtout pas "la Suisse" (elle n'existe comme Etat que depuis 1798), et qui ne concernait évidemment pas Genève (pas plus d'ailleurs que vingt des vingt-trois cantons actuels ? L'UDC a beau proclamer dans un rituel message du 1er août (signé Rösti, son président) que "nous fêtons le 725ème anniversaire de notre merveilleux pays", elle sait qu'il n'y a aucun anniversaire de ce genre là à fêter ce jour là, qu'un pays n'a pas d'anniversaire (il préexiste à ses institutions politiques, à "son" Etat), et que si l'on  voulait fêter la naissance de la Suisse comme Etat, il faudrait le faire le jour de la proclamation de la République Helvétique, le 12 avril, -ou, comme Etat moderne, celui de l'adoption de la constitution de 1848.

Une patrie, cependant, ce n'est pas, ce ne peut être un Etat. Démocratique ou non, l’Etat est toujours, partout, fondé sur un mensonge qui le constitue : celui de sa légitimité -de quelque nature qu’elle se targue d’être : historique, raciale ou ethnique, démocratique. Et qu'on nous fasse grâce du sophisme de l' « Etat de Droit » -de cet Etat qui serait d'autant plus démocratique, et dont le caractère démocratique serait d'autant moins contestable, qu'il serait fondé sur le respect du Droit, quand ce Droit n'est autre que celui que l'Etat lui-même a mis en place, et qu'il se voue lui-même à appliquer et à faire respecter pour faire respecter l'ordre que lui-même a instauré...

On sait la phrase de Jaurès : "Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène". Le patriotisme, en tout cas, ne se décrète pas. Pas plus que son objet. Et le patriotisme n'a besoin ni d'un drapeau (fut-il graphiquement génial, comme celui de la Suisse), ni d'un hymne, ni d'une fête "nationale". Une patrie, ce sont des couleurs, des odeurs, des sons. Des souvenirs, des nostalgies. Une enfance. Un air qu'on ne respire pas ailleurs. Un  paysage qu'on porte en soi. Un manque, quand on la quitte. Un attendrissement, quand on la retrouve. Un lieu qui vous parle une langue que vous seul comprenez, parce qu'il ne la parle qu'à vous, que vous seul-e l'entendez.
On n'est pas patriote sur ordre et quand on l'est, si on l'est, c'est comme on veut l'être, et pour la patrie qu'on a choisie. Si on en a choisie une : "apatride" n'est pas une injure...

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