L'impensé et le non-dit de la rentrée : L'apolitique de l'asile

Elle n'est pas au menu des votations fédérales du mois prochain, elle ne fait plus les gros titres des journaux, recouverte qu'elle est fort opportunément (mais pas entièrement, tant la polémique sur ces vêtures d'emballage fleure la xénophobie la plus ordinaire) par une burqa ou un burkini. Elle est devenue l'impensé, le non-dit, de la rentrée. Pourtant, elle est toujours l'un des enjeux, ou même l'enjeu continental le plus lourd, le plus décisif pour les décennies à venir, et donc celui qu'il serait le plus urgent de relever, en même temps que celui qu'on s'acharne à ne pas vouloir relever : c'est de la politique d'asile qu'on parle ici. Des politiques nationales d'asile, de la politique européenne, de la politique internationale d'asile : "Le déplacement forcé atteint un niveau sans précédent", constate le rapport annuel du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR), qui a recensé plus de 65 millions de personnes déplacées en 2015 (cinq millions de plus en un an), dont 3,2 millions en attente d'asile dans nos pays industrialisés, 21,3 millions de réfugiés dans le monde (dont la moitié viennent de Syrie, d'Afghanistan et de Somalie) 40,8 millions de déplacés forcés à l'intérieur de leur pays (dont 13,5 millions en Colombie, en Irak et au Yemen). Les réfugiés constituent 18,3 % de la population du Liban.  Un humain sur 113 est aujourd'hui un humain déplacé : demandeur d'asile, réfugié ou déplacé interne, et leur nombre total dépasse la population totale de la France (ou de la Grande-Bretagne ou de l'Italie).   A ce nombre s'ajoutent chaque minute 24 personnes, alors que, constate le HCR, "le rythme auquel des solutions sont trouvées pour les réfugiés et les déplacés internes est en baisse depuis la guerre froide", époque du triomphe (en "Occident") du droit d'asile de masse pour les victimes des régimes du camp adverse.


 "- Que veux-tu dire ? - Rien. Je m'encolère." (Jean Genet)  

La Suisse attend 45'000 réfugiés en 2016, contre moins de 40'000 en 2015. La conséquence logique de cette augmentation des demandes est une augmentation de la prise en charge des réfugiés par les cantons (qui touchent des subsides pour les coûts sociaux de cet accueil) et les communes. Or sur le terrain, c'est pas gagné : A Genève, le Conseil municipal de Vernier, unanime, a dénoncé le manque de concertation et de transparence dont le Conseiller d'Etat Mauro Poggia se serait rendu coupable dans la gestion du projet de création d'un centre de requérants d'asile mineurs (à Onex, en revanche, l'autorisation de construire un centre d'hébergement provisoire pour 180 requérants d'asile a été accordée, sans opposition de la commune). En mars de l'année dernière, dans le canton de Fribourg, une assemblée d'information sur l'installation d'un centre de requérants d'asile à la Gouglera avait tourné au défoulement xénophobe, des centaines d'habitants huant, injuriant et menaçant les élus qui défendaient le projet. Début août, rebelote dans le canton d'Uri (le seul canton suisse dont la population diminue, parce que le taux de naissance y est un des plus faible de Suisse, le taux de décès l'un des plus élevé et l'immigration la plus faible -mais le vote xénophobe l'un des plus forts), la conseillère d'Etat PLR Barbara Bär venue défendre un projet d'installation d'un centre de requérants (60 places) à Seelisberg (700 habitants) est ressortie toute retournée de la séance : "je n'avais jamais vu autant de haine". Oberwil-Lieli, dans le canton d'Argovie mais à moins de kilomètres de Zurich, va payer plusieurs centaines de milliers de francs pour  ne pas accueillir huit ou dix réfugiés. C'est une commune riche, Oberwil. Elle peut payer. Même pour ça. Ou surtout pour ça. Oberwil a pour maire un Conseiller national UDC, Andreas Glarner responsable du dossier de l'asile pour le parti xénophobe, et 40 % de l'électorat de la commune vote UDC. Faut les comprendre, les oberwilains : 10 réfugiés, doit correspondre à quelque chose comme un demi pourcent de la population locale. Carrément une invasion, quoi. Comme quoi, la Suisse profonde, sait reconnaître les périls. Pour convaincre une majorité de ses concitoyens de payer pour se préserver des métèques, Andreas Glarner n'a pas hésité à évoquer les attentats de Bruxelles et les viols de Cologne. Histoire de bien leur faire rentrer dans le crâne que d'entre les huit ou dix réfugiés qui devaient venir à Oberwil, il y avait forcément des terroristes et des violeurs. Dans ces conditions, que près de la moitié des votants au référendum municipal aient accepté les réfugiés tient un peu du miracle.

Heureusement que la dernière votation sur l'asile est supposée avoir "dépassionné" le débat : on n'en est donc pas encore tout à fait au stade du pogrom. Pas encore. Pas tout à fait. Le pire n'est jamais sûr. Mais jamais exclu non plus.
 "- Que veux-tu dire ? - Rien. Je m'encolère." (Jean Genet)  

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