Police fouineuse, le retour ?


Un "non" de témoignage et de prudence

Le 25 septembre, on se prononcera sur la nouvelle loi fédérale sur le renseignement, attaquée en référendum par une coalition dont font partie le PS, les Verts, la "gauche de la gauche" et le Parti pirate, mais également Amnesty International. En revanche, on ne votera pas sur la loi renforçant les moyens de surveillance des communications : le référendum lancé par un comité assez hétéroclite (les Jeunes PLR, UDC et Verts libéraux, le Parti Pirate, Operation Libero et, initialement, la Jeunesse Socialiste -qui a finalement abandonné ce combat) a échoué au stade de la récolte de signatures, mais de peu. Le 25 septembre on dira "non" à la loi sur le renseignement. Par réflexe, avouons-le, mais aussi par raison : parce que cette nouvelle loi est inutile, et dangereuse. Portée par l'ambiance générale, après les attentats djhadistes de ces deux dernières années, elle ne risque guère d'être refusée : selon un premier sondage Tamedia, elle recueille 55 % d'avis favorables en moyenne suisse, grâce à son succès massif auprès de l'électorat de droite. Notre opposition tient donc du témoignage, et du principe de précaution.


"Qui garantirait les peuples de l'invasion des ennemis, et quel ennemi leur a jamais fait tant de mal que leur maître ?"


En novembre 1989, une commission parlementaire d'enquête révélait que 900'000 personnes et organisations avaient été "fichées" par la police fédérale (et les polices cantonales, voire municipales). Le scandale fut national. Mais peu durable : moins de dix ans plus tard, une initiative populaire contre la "police fouineuse" était rejetée, une loi fédérale sur la sûreté intérieure entrait en vigueur et le fichage recommençait, sur de nouvelles bases, plus sélectives (60'000 personnes fichées en 2012). Le service de renseignement intérieur (le SAP) et le service de renseignement extérieur (le SRS) fusionnaient pour donner naissance au service de renseignement de la Confédération (SRC). Les lois actuelles permettent déjà aux polices cantonales et au SRC de faire le travail nécessaire d'enquête sur les menaces terroristes et la criminalité organisée : surveillance des personnes, observations sur le domaine public, engagement d'agents permanente ou occasionnels... et 21'000 caméras de surveillance filment l'espace public et ceux qui l'arpentent en Suisse (près de 15'000 caméras dans les trains et les gares, 2000 à Zurich, 800 à Bâle, près de 600 à Genève), en donnant un faux, et dangereux, sentiment de sécurité  Mais ces dispositifs et ces possibilités de surveillance et d'enquête ne suffisaient pas à la majorité des Chambres fédérales, au Conseil fédéral et au SRC : une nouvelle loi sur le renseignement a été adoptée, qui étend considérablement les compétences du SRC.

Soumise au vote dans trois semaines, parce que la gauche (mais pas seulement) a fait aboutir un référendum contre elle, la loi étend, au-delà de l'utile et de l'efficace, les pouvoirs du service de renseignement : surveillance élargie des communications (téléphoniques, électroniques, épistolaires), pose de micros ou de caméras aux domiciles privés, piratage informatique, et cela même en l'absence de suspicions sérieuses. Le débat porte sur les limites à poser au pouvoir d'intrusion des services de police dans la vie privée de personnes qui ne sont que soupçonnées de représenter un risque sécuritaire. Car la liberté et la sécurité ne se mesurent pas dans un jeu à somme nulle : on peut garantir la première sans attenter à la seconde. On peut, et on doit : non seulement la sécurité est une condition de la liberté réelle, concrète, vécue, mais la légitimité même des mesures sécuritaires se mesure aux libertés qu'elle garantit -et quand elle attente à ces libertés, et à la vie privée de tout un-e chacun-e et pas seulement de potentiels terroristes ou mafieux, cette légitimité devient contestable. Comme est contestable l'efficacité des mesures proposées, à l'aune de leur propre ambition de parer aux menaces réelles : le "terrorisme", sous la forme paroxystique que lui donne le djihadisme, mais aussi la cybercriminalité -contre laquelle le renforcement des moyens du service de renseignement de la Confédération tel qu'il est proposé semble d'une absolue innocuité. Comme il semble d'une efficacité toute relative dans la lutte contre la criminalité organisée en général, ou l'espionnage.

Le Conseil fédéral assure, par la voix de Guy Parmelin, que "les organisateurs et participants à des manifestations relevant de l'extrémisme violent ne pourront pas être préventivement mis sur écoute, ni leurs ordinateurs infiltrés"... ce serait à se demander à quoi peut bien servir la loi proposée, et quelle efficacité supplémentaire elle peut apporter au SRC, si on accordait la moindre foi à ce genre de "garanties". Il est vrai qu'après le scandale des fiches, le gouvernement et la police fédérale marchent sur des œufs... au point de présenter une loi justifiée par les risques de terrorisme tout en assurant que les terroristes potentiels ne seront pas surveillés -or ce n'est tout de même pas pour surveiller les concurrents de la Fête fédérale de lutte, ou  les vaches de combats de reines en Valais, qu'ils nous la proposent, cette loi...

  "Ecoutez raisonner nos politiques. Ils n'ont en vue que la défense et l'avantage des peuples; voyez-les agir, ils ne travaillent qu'à leur oppression. (...) Qui garantirait les peuples de l'invasion des ennemis, et quel ennemi leur a jamais fait tant de mal que leur maître" (Jean-Jacques Rousseau)

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