Affres budgétaires et phynancières genevoises : Beautés de la langue de bois


Interrogé par le mensuel "Affaires Publiques", le ministre genevois des Phynances, Serge dal Busco, décrit en ces termes la situation financière genevoises : "Du côté des revenus, il est très difficile de dégager de nouveaux moyens" (il a en effet été plus facile de priver le canton d'un milliard de recettes annuelles en faisait se succéder 13 réductions d'impôts en quinze ans), "les projets que nous présentons pour tirer profit de certaines niches fiscales spécifiques se heurtent à de très fortes résistances politiques" (là, un traducteur est demandé), et comme il va falloir d'une part investir et que d'autre part "nous allons devoir assumer, à court terme, un manque à gagner fiscal temporaire lié à la réforme de l'imposition des entreprises" (on appréciera le "à court terme" et le "temporaire"...), "nous devons agir sur la part des dépenses publiques sur lesquelles le Conseil d'Etat et le Grand Conseil ont la main. Réduire les dépenses sans nuire aux prestations, avec notamment des gains d'efficience, voilà l'enjeu". Nous voilà pleinement rassurés et précisément informés. Rien de tel qu'une bonne dose de langue de bois pour donner l'impression qu'on dit quelque chose, quand ce qu'on dit ne dit rien de ce qui est, et moins que rien de ce qui sera.

"Avant d'être roi, cocu, enchaîné ou sur la butte, Ubu est Maître des Phynances"

On nous clamait à tire-larigot que les carottes sont cuites, qu'on est au bord du gouffre, qu'une catastrophe menace et qu'on va tous se retrouver à poil si on ne prend pas "des mesures radicales" ?  voilà que ces clameurs sont mises en sourdine... En septembre, le Conseil d'Etat s'est, dans la présentation de son projet de budget 2017 (le canton n'avait pas réussi à se doter d'un budget pour 2016...), livré à une distribution générale de calmants à la gauche, à la droite, au centre, à la fonction publique. C'est que derrière le budget, il y a l'ombre de la réforme de l'imposition des entreprises (RIE III), et qu'il faut à tout prix (ou presque) éviter de fournir des armes aux adversaires des propositions du gouvernement dans ce domaine. On a donc été gratifiés d'un projet de budget parfaitement contradictoire des discours pour le moins alarmistes, voire catastrophistes, tenus depuis des plombes sur l'état des finances cantonales. Retour à la réalité ? Plutôt exercice tacticien pour "apaiser le débat", déminer le terrain et construire une majorité sur le budget, pour pouvoir en construire une ensuite sur la RIE III avec au moins une partie de la gauche avec soi. Prix de cet exercice : la promesse d'un renoncement à la limitation mécanique des dépenses et à la réduction des prestations, et l'acceptation d'un déficit budgétaire. Mais d'un renoncement et d'une acceptation temporaires, et qu'au moins une partie de la droite PLR et UDC refuse.

Rappelons de quel espace économique on parle quand on parle de Genève  : on parle d'un Eldorado pour millionnaires (ils y sont plus de 25'000) et milliardaires (un quart des milliardaires français y vivent). On parle d'un canton où les entreprises ont réalisé l'année dernière pour 26 milliards de francs de profits (on vous fait grâce des chiffres d'affaire pour ne pas vous plonger dans un vertige létal). On vous parle d'une place financière, certes en crise,  mais toujours fort active dans l'évasion fiscale (une société offshore sur six enregistrée par Mossack Fonseca l'a été par sa filiale genevoise). On vous parle d'un paradis pour avocats d'affaire, banquiers, fiscalistes et gérants de fortune. On vous parle d'un centre mondial du négoce des céréales, du pétrole, des minerais, des diamants. On vous parle d'un abri, à peine atteint par la fin du secret bancaire traditionnel, pour le pognon des dictateurs, des mafiosi et des djihadistes. On vous parle d'un canton dont le budget, de plus de huit milliards, dépasse celui de plusieurs dizaines d'Etats membres de l'ONU. On ne vous parle pas de nous, on vous parle de chez nous.
Et chez nous, 13 mesures de réduction des impôts, privilégient les revenus et les fortunes supérieurs à la moyenne, ont été adoptées à depuis 2000. Cumulées, elles privent le canton d'un milliard de recettes annuelles, et concourent largement à accroître sa dette. Mais "quand il s'agit de construire des prisons, il n'est jamais question de la dette", observait la députée (Ensemble à gauche) Jocelyne de Haller, qui complétait : "en revanche, dès que l'on aborde les prestation sociales, sa maîtrise devient d'une urgence absolue". Et en effet, la dette publique n'importe à la droite que comme prétexte pour réduire les engagements sociaux et culturels du canton (et de la Ville).
Mais rien de tout cela ne devrait après tout surprendre, car il y a plus d'un siècle,
Alfred Jarry avait, prophétiquement et définitivement, posé le cadre et décrit le bestiaire de nos politiques budgétaires et fiscales
"Avant d'être roi, cocu, enchaîné ou sur la butte, Ubu est Maître des Phynances (...) secondé dans cette fonctions par les salopins (...) assistés de lapins à finance, de chiens z'à bas de laine, de chameaux à finances, tous préposés au voiturin à phynance. Ubu est armé éventuellement d'un sabre et d'un pistolet à phynances. Son  bras s'articule sur le croc à phynance. Il chevauche un cheval à phynance"...
Ben merdre alors, quelle prescience.

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