Nouvelle loi sur le renseignement : L'ombre du djihadiste


       
L'ombre du djihadiste planait sur les urnes du scrutin de dimanche dernier, concernant la nouvelle loi sur le renseignement, attaquée par un référendum lancé par une coalition allant de la Jeunesse socialiste aux Jeunes PLR... Le Conseiller fédéral Parmelin, plaidant pour la loi que lui avait laissée en héritage son prédécesseur Ueli Maurer, n'y était d'ailleurs pas allé par quatre chemins en déclarant que voter "non", c'était se rendre par avance "complice d'un futur attentat". 34,5 % des participants au scrutin ayant voté "non", un tiers des Suissesses et des Suisses sont donc des complices des djihadistes. La loi, approuvés par 65,5 % des votes et par tous les cantons, est tout de même porteuse de menaces, moins pour la liberté que pour l'intimité, menaces que les référendaires ont prié le gouvernement de conjurer en garantissant réellement qu'il n'y aura pas de "nouvelle affaires des fiches", pas de surveillance généralisée, et un risque très réduit de dérapages. Et Amnesty International a appelé le Conseil fédéral à appliquer la loi de "façon mesurée". Mesurée à quoi ? à la peur ambiante ? ça promet...


La peur, condition de l'autorité de la loi, du pouvoir, du politique et de l'Etat


C'est donc sur fond de menace "terroristes" que les Suissesses et les Suisses ont approuvé une nouvelle loi qui donne au service de renseignement de la Confédération (SRC) des droits, des pouvoirs et des moyens accrus de surveillance, mais qui ne fixe pas de limites suffisamment claires et contraignantes au champ de cette surveillance (la population pouvant être surveillée) pour que le crainte d'un "flicage" général puisse être dissipée. Au moins a-t-on pu mener un début de débat sur le Service de renseignement, ses tâches, les limites qu'on lui pose, l'efficacité des moyens qu'on lui accorde. Seulement un début de débat : l'invocation obsessionnelle du risque terroriste a en effet considérablement réduit la capacité même de pousser le débat plus loin, et plus profond, comme si s'interroger sur le terrorisme était déjà se rendre coupable de complicité avec lui.

On a beau dire "si vous n'êtes pas avec nous, c'est que vous être contre nous" -et les "terroristes" comme les "antiterroristes", les djihadistes comme les pouvoirs qu'ils menacent, le disent-, le terrorisme n'est pas un duel entre deux adversaires et eux seuls, mais un affrontement devant un troisième larron : le public, la société, la population. A la fois cible (de l'un ou l'autre des deux adversaires, voire des deux, comme en Algérie pendant la "décennie noire") et spectatrice, actrice et témoin. Et enjeu.  Le "terrorisme" n'est pas une guerre, parce qu'il  ne met pas en jeu deux camps qui s'affrontent, mais trois, dont un qui ne combat pas : les témoins d'un conflit dont ils sont aussi les otages. La population n'est ni avec, ni contre l'un ou l'autre de ces camps. Elle en est victime, des deux : c'est elle autant que le pouvoir en place que les "terroristes" veulent terroriser, c'est elle autant que les "terroristes" que le pouvoir en place veut contraindre. C'est elle qui ne se mobilise contre le "terrorisme" que lorsque les victimes des terrorisme lui ressemblent, c'est elle qui reste spectatrice lorsque ces victimes lui semblent étrangères à l'idée qu'elle se fait d'elle même, c'est elle qui applaudit le "contre-terrorisme" lorsqu'il s'en prend à des groupes de population auxquels elle croit ne pas ressembler, et qui le critique lorsqu'il réduit ses libertés à elle. C'est elle qui appelle de ses voeux la généralisation de la vidéosurveillance en proclamant que "seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont des raisons de la craindre", et elle encore qui la dénoncera lorsqu'elle s'apercevra qu'elle en a été l'objet, et que l'ombre du djihadiste se sera dissipée.

Poursuivre le débat jusqu'à le tenir, rationnellement, sur le terrorisme et la réponse à lui donner est pourtant indispensable. Jacques Derrida s'interroge : "La terreur organisée, provoquée, instrumentalisée, en quoi diffère-t-elle de cette peur que toute une tradition, de Hobbes à Schmitt et même à Benjamin, tient pour la condition de l'autorité de la loi et de l'exercice souverain du pouvoir, pour la condition du politique même et de l'Etat ?" : pour tous ceux qui veulent renforcer le contrôle de l'Etat sur la population, et sur chacune et chacun, le djihadiste est providentiel...

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