Ouverture des commerces le dimanche et protection des travailleuses : Un deal défendable



On va voter à Genève, dans deux semaines, sur une initiative syndicale s'opposant à l'élargissement des possibilités d'ouverture dominicale des commerces. Cette initiative était d'abord une réponse à la décision du Conseil fédéral, prise par ordonnance et donc impossible à contrecarrer par un référendum, d'élargir ces possibilités à tous les dimanches dans les zones touristiques se situant à moins de 15 kilomètres à vol d'oiseau d'une frontière nationale -ce qui englobe tout le territoire genevois. Mais l'ordonnance fédérale laisse aux cantons la capacité de légiférer de manière plus restrictive qu'elle -ce que Genève s'apprête à faire, si l'initiative ou le contre-projet parlementaire passe le cap du vote populaire le 27 novembre prochain. Car contre-projet il y a : d'une réponse à une offensive patronale, on est passé à l'usage de l'initiative comme moyen de renforcer la protection des salariés de toute une branche, en posant comme exigence l'application (et l'élargissement à tout le secteur) d'une convention collective de travail. Cette exigence a été reprise dans le contre-projet à l'initiative (et elle explique l'opposition de la droite libérale à ce contre-projet) : le deal, c'est un peu plus d'ouverture des magasins le dimanche, en échange d'une convention élargie. Et ça se défend -on peut donc aussi voter "oui" au contre-projet... et même, si l'on privilégie la protection des travailleurs (surtout des travailleuses, en l’occurrence) , le privilégier en cas d'acceptation des deux textes.

Le dernier jour de distance d'avec le consumérisme, de retrouvaille avec des personnes et non plus des marchandises...

En novembre 2013, une nouvelle convention collective pour le commerce de détail (alimentaire et non-alimentaire) avait été signée (depuis 2010, on était dans le vide conventionnel). En échange de l'ouverture des magasins le 31 décembre, jour férié à Genève, les grands distributeurs (y compris la Migros et la Coop) et les petits commerçants avaient accepté de fixer le salaire minimum des 18'000 employées et employés de la branche à 3980 francs mensuels, contre 3740 francs précédemment, mais cette augmentation de 240 francs devait se faire progressivement, dans un délai de cinq ans. Les syndicats, qui demandaient une augmentation en une seule fois, avaient donc cédé sur ce point. La plupart (90 %, selon les syndicats) des salariés de la branche n'étaient d'ailleurs pas concernés, puisqu'ils gagnaient déjà en 2013 plus de 4000 francs par mois. Le "hardiscounter" Lidl avait de son côté décidé d'accorder un salaire minimum de 4000 francs dans toute la Suisse, et sur 13 mois (alors qu'à Genève on en était resté à douze mois). Les syndicats ont en outre échoué à faire admettre l'institution d'une structure de contrôle de l'application de la convention collective, alors que le secteur du commerce de détail (à très forte proportion de travailleuses et de travailleurs immigrés ou frontaliers) est l'un de ceux où le dumping salarial est le plus fréquent. C'est de cette situation qu'on peut maintenant sortir.

Le 27 novembre, face à une initiative syndicale (qu'il faut soutenir) qui exclut toute possibilité d'ouverture supplémentaire des magasins le dimanche, le parlement cantonal  a lancé un contre-projet qui accorde trois dimanches d'ouverture en plus du 31 décembre (jour férié à Piogre), mais à la condition qu'une convention collective avec force obligatoire dans toute la branche soit conclue. Et ça se défend -on peut donc aussi voter "oui" au contre-projet... et même, si l'on privilégie la protection des travailleurs (surtout des travailleuses, en l’occurrence) , le privilégier en cas d'acceptation des deux textes.

On soutiendra donc l'initiative, parce que l'élargissement de l'ouverture dominicale des commerces tel que permis par l'ordonnance fédérale est à la fois inutile et néfaste. Inutile, parce qu'à Genève, on a déjà, dans toute la zone urbaine, largement de quoi satisfaire ses besoins, voire ses envies, de consommer le dimanche. Illusoire, parce qu'elle ne renforcera pas le commerce local (et surtout pas le petit commerce) face à la "concurrence française" : ce ne sont pas les heures d'ouverture qui sont la principale motivation des clients transfronaliers, mais les prix -et les prix ne vont pas baisser à Genève parce que les commerces seront plus souvent ouverts le dimanche. Et nuisible, parce qu'elle met à mal le dernier jour de "repos du consommateur", de distance d'avec le consumérisme, de retrouvaille avec des personnes (la famille, les amis...) et non plus des marchandises. Et on soutiendra aussi le contre-projet, parce qu'en imposant une convention collective avec force obligatoire dans tout le secteur du commerce de détail, elle fait faire un grand pas dans la défense des droits des travailleurs.
Et des pas dans la défense des droits des travailleurs, en ce moment, on en a bien besoin. Des grands pas, et même des petits pas.

Commentaires

Articles les plus consultés