Naturalisation un peu facilitée pour les petits-enfants d'immigrants : un petit pas hors de la tribu



Savez-vous qu'on obtenait plus vite l'équivalent de la nationalité (la « bourgeoisie ») au XVIIe siècle qu'on l'obtient aujourd'hui ? Parole de descendant d'immigrants installés à Berne au XVIe siècle et «embourgeoisés» bernois après deux générations quand il en faut, 500 ans plus tard, souvent trois pour, peut-être, éventuellement, être suissisé... Trois générations de séjour en Suisse : c'est ce qu'une proposition de la socialiste vaudoise Ada Marra, acceptée par le parlement (après avoir toutefois été revue à la baisse), suggère comme condition pour bénéficier d'une "naturalisation facilitée". La proposition de ce tout petit pas, qui ne pourrait concerner que 5000 personnes qui sont déjà Suisses de fait, est soumise au vote populaire en février prochain. Tous les partis politiques représentés au parlement fédéral soutiennent cette proposition -tous, sauf un, et on ne vous fera pas l'injure de vous demander de deviner celui pour lequel la suissitude doit continuer à ne se transmettre que par le sperme, et pour qui vous aurez beau être né en Suisse de parents nés en Suisse de parents arrivés en Suisse il y a plus d'un demi-siècle, vous devriez continuer à être considéré comme un métèque définitif.

Suisses, ils le sont déjà. Il ne reste plus à la Suisse qu'à  l'admettre...

Le 1er janvier, dans moins d'un mois, la nouvelle loi fédérale sur la nationalité, entrera en vigueur. Si elle ne change rien à l'acquisition de la nationalité à la naissance, par le "droit du sang" (sont Suisse-sse de droit tous ceux et toutes celles qui sont nés de parents suisses), elle restreint les conditions d'acquisition de la suissitude par naturalisation : il faudra désormais avoir séjourné légalement en Suisse douze ans au lieu de dix, être titulaire d'un permis C (les titulaires de permis B, F et N ne pourront plus demander la naturalisation), attester de connaissances non seulement orales mais également écrites, à un niveau relativement élevé (une maîtrise de la langue), ne pas être dépendant de l'aide sociale, ne pas faire l'objet de poursuites, avoir un casier judiciaire vierge et être adapté "aux conditions de vie" et à la "vie sociale et culturelle" en Suisse. La nouvelle définition politiquement correcte des "bonnes moeurs". Autant dire que l'auteur de ces lignes, descendant de vingt générations de Suisses de souche, peut se féliciter d'échapper ("droit du sang" oblige), sans rien avoir à demander, à l'examen de sa conformité à ces conditions.

Il n'y a d'ailleurs pas de citoyenneté suisse avant 1798 -avant la République Helvétique qui, créant le premier Etat suisse, crée aussi la nationalité et la citoyenneté suisses. Avant 1798, on est citoyen (et pas vraiment citoyenne) d'un canton, parce qu'on est bourgeois d'une commune (à Genève, qui n'est pas suisse avant 1814, la bourgeoisie et la citoyenneté sont synonymes). Après 1798, on s'achemine progressivement vers un renversement de cette logique subsidiaire : Aujourd'hui, l'octroi de la nationalité, et donc de la citoyenneté, suisse est une prérogative fédérale. La Confédération n'en délègue qu'une partie aux cantons, qui ne délèguent aux communes qu'une partie de leur prérogative restante. C'est ainsi qu'à Genève, le droit de cité communal est accordé par le canton en même temps que la citoyenneté cantonale, qui n'est accordée que si la Confédération en a donné l'autorisation...

Le projet de la socialiste Ada Marra de faciliter la naturalisation des étrangers de la troisième génération (fils et filles nés en Suisse de migrants eux-mêmes fils et filles de migrants) est ressorti des navettes parlementaires sous une forme affadie (tant par rapport au projet initial que par rapport à celui accepté par le Conseil national), mais représentant tout de même un progrès : comme le résumait le sénateur vert genevois Robert Cramer, "les petits enfants de saisonniers ne jouiront pas du droit du sol, mais ils auront un accès facilité à la nationalité suisse". (ce que les cantons romands, sauf le Valais, ont déjà fait : la proposition soumise au vote ne fait qu'uniformiser des procédures cantonales disparates).

On reste en effet très loin du droit du sol qui fait horreur à la droite tribale : les demandes de naturalisation facilitée devront être déposées avant l'âge de 25 ans afin que le candidat soit en mesure de remplir ses obligations militaires (ou son service civil). Des conditions cumulatives sont en outre imposées s'agissant des ascendants du candidat ou de la candidate : au moins l'un de ses parents doit être né-e en Suisse, y avoir obtenu un permis d'établissement, et y avoir effectué au moins cinq ans de scolarité obligatoire. Il faudra que ses parents aient entretenu des liens étroits avec la Suisse, et même que l'un de ses grands-parents ait été titulaire d'un permis de séjour. Enfin, la naturalisation de ces "étrangers" de la troisième génération ne sera pas automatique : ils devront toujours la sollicite, mais ce ne sera plus à eux de prouver qu'ils sont intégrés -au bout de trois génération, on s'autoriserait à penser qu'ils le sont, sauf si on peut prouver que tel n'est pas le cas.

Ce ne sont donc même pas les étrangers de la deuxième génération, les "secundos", qui pourront bénéficier d'une procédure de naturalisation facilitée, mais leurs enfants, les "étrangers" de la troisième génération. Suisses, ils le sont déjà. Il ne reste plus à la Suisse qu'à l'admettre
Elles et ils sont ses enfants...

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