Réformes fédérale et cantonale de l'imposition des entreprises : La charrue, les bœufs et le consensus



Une étrange agitation semble s'être emparée des partis politiques genevois (et du Conseil d'Etat, et même du Conseil administratif de la Ville), à propos du volet cantonal de la réforme des entreprises (RIE III), dans la version qu'en propose le Conseil d'Etat, alors même que le sort du cadre fédéral de cette réforme n'est pas encore scellé, puisqu'il ne sera que dans trois mois, le 12 février, en vote populaire après que le référendum lancé par la gauche ait (largement) abouti. Or si la réforme fédérale devait subir le sort que nous souhaitons lui réserver (un refus), la proposition de réforme cantonale faite par nos Magnifiques Seigneurs et Syndics ne reposerait plus sur rien -même pas sur du vent. Qu'importe : on négocie dans tous les coins. On parle même d'une "convention" qui lierait les partis "gouvernementaux genevois" (le PLR, le PDC, le MCG, les Verts et le PS) pendant une législature entière, et par laquelle ils s'engageraient à ne pas déposer de projets ayant des conséquences sur le budget, qu'il s'agisse de nouvelles dépenses, de nouvelles économies ou de modifications fiscales. Que vaudrait un tel engagement, dont seuls les partis gouvernementaux seraient signataires, et qui ne s'imposerait donc ni aux forces d'opposition (de droite ou de gauche), ni aux organisations sociales (patronales et syndicales, notamment), ni aux citoyens... ni même aux membres, militants, élus des partis signataires ? Rien. Du vent. Du même vent que celui sur lequel on tente de construire un consensus sur une réforme cantonale reposant sur une réforme fédérale dont on ne peut prédire le sort que le peuple lui réservera. On ne serait là pas en train de mettre une charrue (au soc douteux) avant les bœufs ?

La Mère fédérale de toutes les Batailles et sa fille cantonale

Ce que la droite du parlement fédéral a imposé, avec sa version de la réforme de l'imposition des entreprises, n'est rien moins que la plus massive baisse d'impôt des temps modernes. Partant de la nécessité d'abolir les privilèges fiscaux de grandes entreprises étrangères établies en Suisse, cette réforme a inventé de nouvelles méthodes de soustraction fiscale légale, et fixé un taux unique d'imposition des entreprises à un (bas) niveau tel que les caisses publiques y perdront jusqu'à trois milliards de francs par année.

C'est cette réforme que la gauche, politique et syndicale, a combattu par un référendum. Et c'est cette réforme qui sera soumise au vote populaire dans toute la Suisse le 12 février prochain. Et c'est le résultat de cette votation qui rendra possible ou impossible la réforme cantonale dont le Conseil d'Etat genevois propose une version -à nos modestes yeux, inacceptable. Il y a en effet  une ligne rouge dont nous ne pouvons accepter le franchissement par une réforme fiscale, quelle qu'elle soit, et à quelque niveau, cantonal ou fédéral, qu'elle se situe : cette ligne rouge, elle est tracée par les prestations à la population, par les droits sociaux des personnes. Or trois milliards de pertes fiscales fédérales par année, 500 millions de pertes cantonales, 50 millions de pertes municipales, ne pourront se compenser sans atteinte à ces prestations et ces droits.

Il serait donc logique, pour toutes les forces politiques, syndicales, sociales, qui combattent à la fois la réforme fédérale et le projet de réforme cantonale, de consacrer toutes leurs forces à s'opposer à la "Mère de toutes les Batailles" (on notera au passage le curieux succès de cette formule dont le regretté Saddam Hussein avait coutume d'user pour qualifier les guerres qu'il allait perdre) -la bataille contre la réforme fédérale. Eh bien non. Il faut croire que des forces, du temps, des militantes et des militants, des moyens de communication, nous en avons en tel excédent que nous pouvons déjà nous agiter autour de la fille cantonale de cette mère fédérale sans même savoir si l'une et l'autre survivront à un vote populaire.
Donc le Conseil d'Etat consulte et les partis cantonaux se concertent, le Conseil administratif de la Ville consulte et les partis municipaux se concertent, Ensemble à Gauche boycotte les concertations cantonale et municipale, le PS réfléchit, la droite dilatée de la Ville de Genève (MCG, UDC, PLR, PDC) dépose un projet de résolution demandant que le Conseil municipal soutienne le projet du Conseil d'Etat, sans même attendre de savoir à quoi il ressemblera après que le Grand Conseil se soit prononcé, ni même attendre de savoir si le projet fédéral sur lequel repose le projet cantonal sera accepté ou refusé par le peuple...

A quoi rime cette précipitation généralisée, ces consultations sur ce qui n'est (encore) que du vent, des appels au consensus sur des projets dont on ne peut nullement jurer du destin ? Bon d'accord, y'a des élections cantonales à Genève en 2018, mais on n'est pas encore en campagne électorale et pas déjà tenus de prendre des postures rassembleuses d'un côté, combattives de l'autre, histoire de se faire bien voir de l'électorat qu'on veut choyer. Quitte, comme la droite en Ville de Genève, à dire un jour qu'on veut un budget bénéficiaire d'au moins 15 millions, et le lendemain qu'on est prêts à accepter cinq ans de déficits.
Mais qui accorde encore quelque crédit à ce que la droite dilatée de la Ville peut dire de quoi que ce soit ? Elle-même, peut-être.
Et encore, on n'en jurera pas.

Commentaires

Articles les plus consultés