Sortie du nucléaire : Hâte-toi lentement


Les cantons romands (sauf les bilingues, Valais, Fribourg et le Jura bernois) ont accepté l'initiative des Verts pour une "sortie programmée du nucléaire". Les deux cantons de Bâle aussi. Mais pas le reste de la Suisse. L'initiative a donc été repoussée  -tout en faisant le meilleur score (46 %) atteint depuis longtemps par une initiative antinucléaire dans ce pays. On ne sortira donc pas du nucléaire rapidement. On attendra. On attendra que nos centrales soient en bout de course, pour ne pas les remplacer. Peut-être. Si la "stratégie énergétique" concoctée par le Conseil fédéral passe la rampe d'un référendum lancé contre elle par l'UDC. Or l'échec de l'initiative des Verts n'était pas confirmé depuis cinq minutes qu'on entendait déjà des représentants du PDC et du PLR dire qu'après tout, si l'initiative a été repoussée, c'est que les Suissesses et les Suisses ne voulaient pas abandonner la filière nucléaire de production énergétique -alors que leurs partis invoquaient la "stratégie énergétique 2050" qui implique elle aussi la sortie du nucléaire (mais à plus long terme) comme contre-projet indirect à l'initiative. Cette duplicité a fonctionné. Les masques peuvent maintenant tomber. Et le combat antinucléaire reprendre.

"Laisser du temps au temps", d'accord, mais pas trop, tout de même


On aurait voulu aller plus vite, se donner des échéances précises, on ira plus lentement, avec des échéances plus floues ? Certes. Mais l'essentiel n'est-il pas d'aller tout de même là où on voulait aller, vers un changement majeur, et indispensable, des modes de production énergétique, et vers l'abandon d'une filière dont l'obsolescence devrait sauter aux yeux : il n'y a eu aucun progrès depuis un demi-siècle dans la technologie des centrales nucléaires. Juste des apprentissages de ses risques, et de ses coûts.

De toute façon, il va falloir se passer de plusieurs des centrales nucléaires suisses : dans trois ans, Mühleberg sera fermée. Aujourd'hui, Beznau I (l'ancêtre, la plus vieille centrale encore en activité au monde) et Leibstadt sont à l'arrêt. Et on s'en passe. Et on pourrait continuer de s'en passer, si elles devaient être définitivement arrêtées, soit pour des raisons de sécurité, soit, plus trivialement (mais sans doute de manière plus convaincante pour une partie de la droite)  parce qu'elles ne sont plus, mais alors plus du tout, rentables. Plus globalement, c'est la production d'énergie par voie nucléaire qui a du plomb (et elle n'aime pas ça) dans le réacteur, malgré la septantaine de centrales actuellement en construction dans le monde.

Le Conseil fédéral et la majorité des Chambres fédérales ont adopté une "stratégie énergétique" qui pose elle aussi la "sortie du nucléaire" comme un objectif -mais à plus long terme que le proposait l'initiative de Verts, et que l'on souhaité un million de Suissesses et de Suisses (et la majorité des votants dans sept cantons). Les partisans de cette "stratégie", et les partisans de la sortie plus rapide refusée ce dimanche, et qui soutiendront la proposition gouvernementale faute d'avoir pu faire accepter la leur, auront à faire face, si le référendum lancé par l'UDC aboutit (il semble qu'il soit à la peine), à un front reconstitué des nucléocrates, avec, autour de l'UDC (mais sans une partie de son aile agrarienne) des minorités du PLR et du PDC -mais qui, au PLR en tout cas, ne désespèrent pas de faire basculer leur parti dans le camp du soutien inconditionnel au nucléaire, et donc de l'opposition à une "stratégie énergétique 2050" qui prévoit le renoncement à la construction de nouvelles centrales et la fermeture des anciennes au fur et à mesure qu'elles commenceront à devenir trop dangereuses, ou financièrement trop abyssales.

Pour la gauche, mais, au-delà d'elle, pour toutes les forces, toutes les organisations, tous les acteurs sociaux et économiques qui, dans ce pays comme ailleurs, ont conscience à la fois de la nécessité à la fois environnementale, économique et sécuritaire de l'abandon du nucléaire, c'est donc la "stratégie" gouvernementale qu'il va falloir maintenant soutenir, alors même qu'elle leur a été opposée comme un contre-projet indirect à l'initiative antinucléaire.

On attendra donc quelques années de plus. En continuant à produire des déchets qui, eux, attendront des millénaires avant de cesser d'être une menace mortelle. Il faut sans doute "laisser du temps au temps". Mais pas trop, tout de même.

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