Turquie : le coup d'Etat réussi d'Erdogan



La Répression au Sérail

Le 4 novembre, le gouvernement Turc a fait interpeller Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag, les co-présidents du Parti démocratique des peuples (HDP), ainsi que neuf autres élus de ce parti.  Principal parti d’opposition en Turquie (il a obtenu six millions de suffrages rien qu'au Kurdistan en novembre 2015), le HDP, seul à défendre les droits des Kurdes, incarne également la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes, pour le respect des minorités et contre toutes les formes de discriminations. Muselé par le pouvoir, le HDP a annoncé le 6 novembre dernier se retirer de toute activité au parlement pour protester contre la répression le frappant et frappant toute l'opposition réelle en Turquie, qu'elle soit le fait d'organisations politiques, de media ou d'acteurs sociaux et culturels. Les arrestations d’élus kurdes surviennent en effet dans un contexte de purges et de répression généralisées à la faveur de l'état d'urgence instauré après la tentative de Coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016, suivie d'un coup d'Etat réussi -celui du Sultan Erdogan, qui désormais contrôle tous les pouvoirs : le parlement, le gouvernement, la justice, l'armée... et en use contre toutes les oppositions, dans l'apathie généralisée des consciences démocratiques européennes.


« être captif, là n'est pas la question, la question est de ne pas se rendre » (Nazim Hikmet).

Depuis la tentative foireuse (mais pas pour Erdogan, qui en a immédiatement tiré un profit maximum, et l'a qualifié de "bénédiction") de coup d'Etat du 15 juillet dernier, la Turquie a basculé dans l'arbitraire policier, judiciaire, administratif et politique. Et le Kurdistan de Turquie dans une sale guerre prenant de plus en plus en plus clairement l'aspect, et la réalité, d'une épuration ethnique : 10 localités kurdes ont été purement et simplement rasées par l'armée turque (d'entre elles : la ville millénaire, et chrétienne, de Sur, au centre de Diyarbakir), et 200'000 habitants ont perdu leur logement en un an. Selon Amnesty International, des centaines de civils ont été massacrés à Cezire. Parallèlement, les élus du peuple sont aussi ciblés : onze parlementaires kurdes, membres du parti HDP, ont été arrêtés et emprisonnés, 31 maires kurdes arrêtés, destitués et remplacés par des beys du Sultan, des milliers de membres du HDP ont été arrêtés 160 associations, la plupart kurdes, ont été dissoutes, 90 media (journaux, radios, télévisions) ont été fermés, le rédacteur et chef et plusieurs journalistes du principal quotidien d'opposition, "Cumhuriyet", arrêtés, comme des centaines d'intellectuels et d'artistes, certaines et certains torturés dans les prisons. Une purge massive s'est abattue sur le secteur public, la justice, la police, l'armée, la culture : plus de 125'000 personnes sont été licenciées (dont plus de 200 juges et procureurs). Toute critique du gouvernement est criminalisée, toute dénonciation de la répression frappant les Kurdes est assimilée à un "soutien au terrorisme" et toute défense des droits des femmes comme un appel à la débauche. Internet est souvent bloqué, les manifestations réprimées dans le sang. Et pendant que s'abat la répression sur tout ce qui bouge en Turquie, pour autant que cela ne bouge pas dans le sens voulu par le pouvoir, le président Erdogan concocte avec l'extême-droite du MHP une réforme de la constitution renforçant son pouvoir personnel.

Genève, siège des Nations Unies et du Conseil des droits humains, ne devrait pas rester silencieuse face à de telles dérives. Une parole politique venant d'ici serait d'autant plus légitime qu'elle ne s'adresserait pas seulement aux autorités turques, mais aussi aux Turcs et aux Kurdes de Turquie vivant chez nous, et attachés aux libertés et aux droits démocratiques dans leur pays d'origine, où vivent leurs proches et leurs familles.
La gauche avait donc déposé, au Conseil municipal et au Grand Conseil, une motion demandant aux exécutifs municipal et cantonal
- d’agir par toutes les voies utiles pour obtenir le respect des droits humains et des droits démocratiques en Turquie et la libération immédiate des personnes démocratiquement élues et arbitrairement détenues, dont les deux maires de Diyarbakir, de Figen Yuksekdag, députée et de Selahattin Demirtas, député, co-présidents du parti HDP ainsi que tous les élus nationaux, régionaux et locaux actuellement  eux aussi détenus pour des raisons politiques;
- et d’intervenir auprès du Conseil fédéral afin que la Suisse condamne clairement la répression policière et politique systématique exercée par le gouvernement turc.

En l'absence de plusieurs élues et élus de gauche, la motion a été refusée par le Conseil municipal, par la voix départageante du président (issu du PLR). Dans "Gauche Hebdo" du 18 novembre, l'ancien rédacteur en chef de "Cumhurriyet", exilé, résume amèrement : "les Etats-Unis et l'Europe "préfèrent une Turquie stable aux mains d'un pouvoir autoritaire, voire totalitaire, plutôt qu'une Turquie démocratique".
Genève est bien en Europe.

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