Interdire la mendicité ? "injuste et inutile" !


Salauds de pauvres ! (suite)

Alors que le Grand Conseil vaudois, s'appuyant sur l'"exemple genevois", a décidé d'interdire la mendicité (et que le référendum lancé et soutenu par seulement une partie de la gauche a échoué au stade de la récolte de signature), la gauche genevoise propose au Grand Conseil d'abroger précisément l'article de la loi pénale cantonale qui interdit la mendicité. Une disposition "injuste et inutile", qui "s'attaque aux plus faibles" sans même réduire la mendicité, résume l'initiatrice de la démarche de l'abolir, la députée d'Ensemble à Gauche Jocelyne Haller. Les amendes (d'une centaine de francs en moyenne) imposées aux mendiants sont passées de 2000 en 2008 à 5739 en 2015, et les mendiants se mettent à les payer (ou à les faire payer par des proches) pour éviter de se retrouver en prison (les amendes étant convertibles en jours de détention), mais ils recommencent ensuite à mendier pour récupérer les sommes payées, et pour survivre. Il y a donc toujours autant de mendiants, et les coûts de procédure du système sont considérables. Certes,  Quant à l'existence de "réseaux" de mendiants professionnels organisés par "une sorte de mafia", hypothèse évoquée (et affirmée) par l'UDC, non seulement elle n'est pas avérée, mais même la police, qui n'a recensé en 2016 qu'une seule personne contrainte de mendier, la dément. Mais qu'importe la réalité des faits ? L'essentiel n'est-il pas de bien montrer aux mendiants ce que nous pensons d'eux ?


Le bon vieux temps de la monnaie de singe de la charité...

Donc, la chasse aux mendiants continue à Genève, et va vraisemblablement commencer dans le canton de Vaud. Cette chasse,  c'est la chasse à la pauvreté visible. Et puis, il y a l'autre pauvreté, l'invisible, ou la discrète. On se satisfaisait d'ailleurs de ne pas la voir, ou de pouvoir ne pas la voir : cela permettait de la gérer discrètement, de la maintenir dans la pénombre. Il faut croire que tel n'est plus le souhait de notre bonne droite bourgeoise et de ses alliés xénophobes : il faudrait désormais que nos pauvres à nous, pas des Rroms importés de quelque Metekistan des confins européens, mais des pauvres de chez nous, soient distinguables des gens normaux. Parce qu'ils sont, à nouveau, comme dans les années trente du siècle défunt, de plus en plus nombreux, les pauvres de chez nous*. Mais contrairement aux années trente du siècle défunt, on ne les distingue plus à leur apparence. Fini, le temps des casquettes graisseuses, des velours côtelés rapés, des falzards troués (sauf quand ils sont effets de mode) : ils s'habillent comme les gens normaux, les pauvres. Alors il fallait trouver un moyen de les en différencier. De leur coller une sorte de signe distinctif. Et c'est la droite municipale genevoise qui l'a trouvé ce moyen : verser des allocations non en argent, mais en bons. Et c'est à la caisse des commerces qui auront condescendu à accepter ces bons qu'on les distinguera, les pauvres : ils ne payeront pas en francs, mais en bons. Comme au bon vieux temps. Quand l'Etat social était encore une revendication, les droits sociaux une utopie, et la charité la monnaie de singe du refus de la solidarité.


* En 2017, à Genève, les dépenses sociales de l'Etat pour les ménages les plus précaires (aide sociale, subsides d'assurance-maladie, aides aux personnes âgées) devraient augmenter d'une centaine de millions par rapport à l'année précédente. Le Conseil d'Etat lui-même reconnaît qu'une part de plus en plus importante de la population genevoise est concernée par la pauvreté : le nombre de chômeurs en fin de droit augmente, les emplois mal rémunérés aussi. Le nombre de dossiers traités par l'Hospice Général a crû de 14 % entre 2012 et 2015, année lors de laquelle 4000 nouveaux bénéficiaires de l'aide sociale ont été enregistrés (un record depuis 10 ans). Selon un rapport du Conseil d'Etat, 19 % de la population genevoise est menacée de pauvreté (les principaux groupes menacés sont les jeunes de 18 à 25 ans, les personnes du "quatrième âge" (plus de 85 ans) et les familles monoparentales), 5,5 % des travailleuses et des travailleurs sont des "travailleurs pauvres" dont le salaire ne suffit pas à couvrir les besoins, et la proportion de contribuables dont le revenu est inférieur au "plancher" d'imposition est passée de 28,4 % en 2003 à 34,2 % en 2012. De futurs destinataires pour de futurs bons, ou des citoyennes et des citoyens disposant encore de droits sociaux ?

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