Partis socialistes français et suisse : Y'en a presque point comme nous.



Ce soir, à la télé française, sept socialistes feindront de débattre dans le cadre d'une "primaire de gauche" -qui ne concerne d'ailleurs plus qu'une partie de la gauche- au terme de laquelle sera désigné le candidat du PS à l'élection présidentielle de la fin du printemps prochain. Sept candidats, dont quatre anciens ministres (et même un ancien Premier ministre) de François Hollande, qui vont sans doute faire ce qu'ils peuvent pour se distancer du bilan d'un quinquennat jugé par une écrasante majorité de Françaises de Français comme assez calamiteux, mais dont ils ont été, pour un temps au moins (mais jusqu'au bout pour Manuel Valls) des acteurs. Autant dire que le vainqueur de la "primaire" du PS et de ses satellites ne sera pas désigné pour succéder à François Hollande, ni même, sans doute, pour se retrouver au deuxième tour de la présidentielle, mais pour tenter de maintenir au sein de la gauche française le primat d'un parti coincé entre le social-libéralisme à la Macron et la social-démocratie de gauche de Mélanchon. Certes, le PS français survivra à sa crise (il a survécu à toutes, et même à ses propres errements, depuis sa fondation par Jaurès et Guesde, il y a un siècle), et ses deux concurrences sur ses deux flans sont plus des mouvements que des partis, mais à voir l'état dans lequel le quinquennat de Hollande l'a laissé, on se sent tout de même mieux en ce moment au PS suisse qu'on se sentirait au PS français. C'est notre "y'en a point comme nous"... "Point", ou presque : n'oublions pas le Labour de Corbyn, et même le courant socialiste de Sanders.


"la plus riche variété de contresens qui ait jamais été concentrée sur un seul mot" : socialisme


Lors du vote sur les propositions de programme économique soumises au congrès du Parti socialiste suisse, début décembre, par la direction du parti, ces propositions ont été qualifiées de "gauchistes" par ceux qui, à la droite du parti, les refusaient alors qu'il ne s'agissait en réalité que d'une réaffirmation des "fondamentaux de la social-démocratie". Mais seuls 50 délégués s'y sont opposés alors que 400 les approuvaient. Y aurait-il donc près de 90 % de révolutionnaires (et 10 % de traîtres sociaux-libéraux) dans les congrès socialistes suisses ? Ne rêvons pas trop : le Parti socialiste suisse n'est pas devenu un parti révolutionnaire du simple fait que son programme évoque le "dépassement du capitalisme" et la lutte des classes. Le "dépassement du capitalisme", après tout, est bien ce qui peut justifier un programme socialiste -sauf à se satisfaire de la bouillasse blairiste (même pas du "social-libéralisme", tout juste du libéralisme social). Quant à la lutte des classes, en constater l'existence n'est pas en sanctifier l'essence : ce n'est pas parce qu'on observe la validité d'une hypothèse qu'on en fait une religion.


Il se trouve cependant que le socialisme (au sens de la social-démocratie) suisse a une double nature : il est programmatiquement dans l'opposition, et institutionnellement au gouvernement. Il conteste la politique majoritaire, mais participe à sa mise en oeuvre en étant présent au gouvernement fédéral, dans tous les gouvernements cantonaux ou presque, et dans les exécutifs municipaux de toutes les "grandes" villes du pays -et dans ce cas là, en étant la force principale des majorités de gauche qui gouvernent ces municipalités, même lorsque la gauche est, comme à Genève, minoritaire dans leurs parlements.


Il fut un temps, que les moins de 90 ans ne peuvent pas connaître, où le Parti socialiste suisse se dotait d'un programme explicitement révolutionnaire, et proposait une Suisse soviétique (au strict sens du terme : la "démocratie des conseils ouvriers et paysans") en s'inspirant de ce les auteurs du programme, et les congressistes qui le votèrent, croyaient constater ou voulaient voir dans la Russie de Lénine, tout juste sortie de la guerre civile, pas encore entrée dans le stalinisme, mais déjà soumise à un parti unique et à sa police. Du même mouvement, le congrès du PSS avait d'ailleurs voté l'adhésion à la IIIe Internationale, décision annulée par un référendum interne. Egarements politiquement adolescents et fugaces (le parti n'avait que 40 ans d'histoire derrière lui, et quelques années seulement s'étaient écoulées depuis la seule grève générale jamais organisée en Suisse, et organisée précisément par le parti socialiste et l'union syndicale -on en célébrera le centenaire en 2018 : à vos agendas, camarades). Ce temps du programme révolutionnaire du PS suisse n'est plus le nôtre, ni ce programme. Celui dont s'est doté le parti pour notre temps est un programme fondamentalement réformiste, et fondamentalement social-démocrate, et il faut toute l'inculture politique et historique dans laquelle nous baignons pour expliquer que certains commentateurs aient pu voir un virage à gauche du PSS dans ce qui n'est que la réaffirmation d'une ligne pérenne -celle, précisément, de la social-démocratie. Qu'elle ne nous satisfasse pas est une chose, mais si social-démocrate qu'elle soit, elle n'a aucune difficulté à se poser comme "plus à gauche" que celle qui tient lieu de ligne politique au PS français, même si être "plus à gauche" que Blair, Schröder ou Hollande peut difficilement passer pour une performance.


Au fond, le PS suisse est resté sur ses fondamentaux quand d'autres PP.SS dérivaient à droite, croyant ainsi pouvoir suivre un mouvement général. Que nous souhaitions un parti socialiste plus radical sur le fond et sur la forme est une chose (mais on n'est pas tenu d'être social-démocrate quand le parti l'est -un parti n'est pas une église, Autre chose est de constater l'évidence qu'ici et maintenant, dans ce pays (et dans ces cantons, et dans ces villes), la gauche, c'est lui. Pas forcément lui seul, mais lui surtout.
Pour le reste, comme disaient les situationnistes il y a cinquante ans, "Le concept de socialisme connaît, de Khrouchtchev aux curés, la plus riche variété de contresens qui ait jamais été concentrée sur un seul mot". Et cela dure depuis 150 ans.

Commentaires

  1. Que le PSS soit Suisse, nul n'en doute, mais est-il socialiste ? Vu l'amas de contresens que tu concèdes, cher Pascal, au terme, il l'est peut-être mais, comme tu le dis ailleurs, pas seul. Il ne suffit pas d'invoquer un dépassement du capitalisme ou faire révérence à la lutte des classes pour se réclamer du socialisme ou même de la gauche, car le capitalisme est dépassable de tous côtés et les contours des classes en lutte incertain. Aussi ce qu'il reste à faire c'est évidemment à distinguer entre variétés divergentes qui s'en réclament plus ou moins, à combler les lacunes de leurs programmes et pratiques et à trouver les clés d'une convergence possible. Bon travail, camarade.

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