"Primaire" de la gauche (mais pas toute) française : Tour de chauffe


Donc, c'est Hamon (avec 36 % des suffrages) et Valls (31 %) qui sortent du (petit) chapeau de la primaire socialiste (et radicale de gauche, et un peu écolo) de dimanche. Exit Montebourg, qui ne donnait d'ailleurs pas vraiment l'impression de vouloir la gagner, cette primaire. On l'aimait bien, Montebourg. On l'aimait plus qu'on aimait ses positions politiques. Il appelle à voter Hamon au deuxième tour. Hamon et lui, cela fait une majorité si la totalité des suffrages de l'un s’additionnent à la totalité de ceux de l'autre. Et du fond de son lit d'hôpital, façon "Appel de Cochin", Martine Aubry appelle à voter Hamon. Ou à voter contre Valls, comme on veut. Dimanche, le PS aura un candidat à la présidentielle de l'année prochaine. Le troisième ou le quatrième candidat de gauche (on a déjà Macron -admettons qu'il soit de gauche- et Mélenchon Et Poutou, forcément). Coincé entre sa droite macroniste et sa gauche mélenchoniste, le PS ne joue même pas sa place au deuxième tour de la présidentielle, mais sa place au coeur de la gauche. En 1969, le candidat socialiste, Gaston Defferre terminait quatrième de la présidentielle, avec 5 % des suffrages, loin derrière le candidat gaulliste (Pompidou), le candidat centriste (Poher) et le candidat communiste (Duclos). On ne donnait plus très cher de l'avenir du parti socialiste. Deux ans plus tard, Mitterrand le prenait d'assaut, aidé par la gauche socialiste d'alors (le Ceres de Chevènement, Sarre et Motchane), s'y installait et le préparait à l'installer (et surtout à l'installer lui-même) au pouvoir. C'est résiliant, un vieux parti, et le PS, sous un nom ou un autre, a plus d'un siècle d'âge, en France, si on le fait remonter à la réunification opérée par Jaurès et Guesde, et près d'un siècle et demi si on le fait remonter à la première organisation politique socialiste).

Si l'unité de la pensée et de la culture politiques était la marque des partis socialistes, ça se saurait

Ainsi, la présidence de François Hollande pourrait, peut-être, s'achever sur une rénovation du PS. C'est tout ce qu'on peut encore lui souhaiter, parce que pour le reste du bilan... Encore que cette rénovation, de plus en plus urgente, et que cette "gauchisation", indispensable, supposent plutôt la désignation de Benoît Hamon comme candidat du parti à la présidentielle, que celle de Manuel Valls, incarnation d'une sorte de continuité dans le chemin d'une impasse. Et là, c'est programme contre programme, culture politique contre culture politique : les propositions de Hamon (le revenu universel, la légalisation du cannabis, le référendum d'initiative populaire, la réduction du temps de travail, le volontarisme environnemental), sont autant de "marqueurs de gauche" dans cette confrontation des projets. Et quitte à choisir un candidat de gauche auquel on n'accorde généralement aucune chance d'être élu, autant qu'il soit porteur d'un projet radicalement distinct de celui de la droite. De ce point de vue, le choix entre Valls et Hamon n'était pas un choix entre un vote "utile" (Valls) ou un vote "de conviction" (Hamon) : il n'y avait pas de vote utile. Valls fait campagne en se présentant comme un homme d'Etat, à la stature présidentielle ? Etrange stratégie, quand on ne lui accorde quasiment aucune chance d'être le prochain président de la République. A Hamon non plus, d'ailleurs -sauf que Hamon s'en fout : lui, son objectif, c'est de reconstruire un parti porteur d'un projet de changement. Comme le fameux "changer la vie" rimbaldien du PS mitterandien des débuts de la conquête du pouvoir (Lionel Jospin en avait un peu amèrement tiré le bilan en ces termes : "on voulait changer la vie, c'est la vie qui nous a changé").

Au fond, ni Hamon ni même Valls n'ont la prochaine présidentielle dans l'objectif. Ils visent plus loin : ils visent la suivante, ou la suivante de la suivante. Ils ont grosso modo l'âge qu'avait Mitterrand lorsqu'il a fait main basse sur les restes de la SFIO pour en faire le PS. Et Mitterrand a attendu dix ans pour se faire élire à la présidence et faire élire une majorité absolue du PS à l'Assemblée nationale -ils ont le temps. Hamon ou Valls, le choix n'est pas exaltant ? Peut-être, mais ce n'est pas le prochain président de la République qui sera désigné dimanche, ce sera le prochain chef de l'encore principal parti de gauche. Ce premier tour était un tour de chauffe, et on a au moins échappé à un deuxième tour entre Gaston Defferre et Guy Mollet : l'histoire est en marche. Lente.

De toute façon, pour le PS français, l'enjeu  des élections présidentielle et législatives qui suivront n'est pas de les gagner, tout au plus de ne pas les perdre trop lourdement, et surtout, de rester la première force de gauche (Le PS est la première force de la gauche française depuis quarante ans, depuis qu'en 1978 il a dépassé le PC pour la première fois depuis la Libération). Il restera le premier parti de gauche, puisqu'il n'a pas à se confronter à un autre parti au sens strict du terme, mais d'un côté (le droit) à un mouvement (celui d'Emmanuel Macron) qui prétend se situer hors du champ partisan, et de l'autre côté (le gauche) à une coalition d'organisations dont aucune ne peut seule rivaliser même avec un PS défait. Face à cet enjeu (la primauté à gauche), celui de la "primaire" du 29 janvier apparaît assez secondaire, d'autant que ni Macron ni Mélenchon n'y participent.

Quant à évoquer deux gauches "irréconciliables", un peu d'anamnèse devrait inciter à quelque prudence : le PS reconstruit en 1971 les a abrité toutes deux pendant quarante-cinq ans, ces deux gauches "irréconciliables". Sans même chercher à les réconcilier, mais en réussissant à les additionner. Et puis, des gauches, il n'y en a pas que deux, il y en a au moins trois : une autoritaire, une démocratique, une libertaire. Et si l'unité de la pensée et de la culture politiques était la marque des partis socialistes et sociaux-démocrates, depuis le temps qu'ils existent, ça se saurait. Vieille histoire, d'ailleurs : "Le grand crime (aux yeux des socialistes), le crime sans pardon, était de penser à peu près comme eux sans être absolument d'accord sur toutes choses" (Emile Zola, "Paris"), "d'où ce pitoyable entredévorement dont leurs sectes donnent le spectacle" (Henri Guillemin, préface à "Paris" d'Emile Zola)...

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