RIE III : Le jour d'après



Belles promesses et lourdes menaces

Entre les belles promesses qui rendent les citoyens joyeux (genre diminuer les impôts des entreprises va en faire rentrer plus) et les lourdes menaces qui les rendent peureux, la campagne des partisans de la réforme fédérale des entreprises version III.0 a pris une étrange tournure...  On nous annonce quasiment que si le projet soumis au vote était refusé, toutes les multinationales (c'est fragile, ces petites bêtes) pourraient quitter la Suisse, que les PME qui travaillent pour elles pourraient toutes faire faillite, qu'au moins 200'000 emplois seraient supprimés, dont 50'000 rien qu'à Genève, qu'Ueli Maurer lancera un programme d'économies de plusieurs milliards de francs et que le PIB de la Suisse tombera au-dessous de celui de la Somalie. C'est comme on vous le dit : le Jour du Jugement, pas moins. On se dit alors qu'on a bien fait de garder au frais les cartes de rationnement de nos parents. Elles ont peut-être 75 ans, mais comme on nous promet quasiment le retour au rationnement (les bons pour les pauvres, c'est fait), au Plan Wahlen et au Réduit National... Sérieusement, il se passera quoi, si le "non" à la RIE III gagne le 12 février ? Sérieusement, il ne se passera rien : c'est si le "oui" gagne qu'il se passera des choses extrêmement désagréables pour tout le monde (ou presque) quand en cascade la Confédération reportera des charges sur les cantons qui reporteront des charges sur les communes qui les reporteront sur leurs habitants...


Quaerenti propere danda est responsio lenta

Donc, si le "non" à la RIE III gagne le 12 février, comme on l'espère, il se passera ceci qu'il ne se passera pas grand chose : on en restera au statu quo, tant qu'un nouveau projet de RIE n'aura pas été présenté, après avoir été réellement négocié pour être rendu acceptable par une majorité populaire. D'ici là, on en resterait donc à la situation actuelle. Une situation qui arrange les multinationales, les traders, les sociétés de courtage, puisqu'elle leur assure des taux d'imposition ridiculement bas. Pourquoi quitteraient-elle alors notre beau pays de Cocagne ? Pour pouvoir payer plus d'impôts ailleurs ? Mais non, on se fout pas de la gueule du monde, mais non. Pas plus en tout cas que l'UDC ou le MCG quand ils se mettent à rouler pour les multinationales : plaidant pour le "oui" au projet fédéral de RIE III, la présidente du MCG insiste lourdement sur les 20'000 emplois directs dans les multinationales à Genève. Lesquelles multinationales, bien entendu, prendraient la fuite ipso facto après un refus de la RIE III. C'est beau de voir le MCG défendre l'emploi des expatriés et des frontaliers (les multinationales en sont grandes employeuses) et inviter à se plier aux desiderata de l'OCDE et de l'Union Européenne. Un tantinet paradoxal, mais beau. Comme une conversion. Parce que, quand même, ça peut pas être de l'incohérence ou de l'hypocrisie. Non, pas de leur part. Jamais. S'ils combattent aussi férocement pour éviter que quittent nos rivages quelques milliers de traders qui tentés d'aller voir à Londres si le Brexit leur sied, c'est qu'ils les aiment, les traders. Et les expats. Et les frontaliers aussi (l'amour vache, après tout, ça existe).

Et on ne se fout toujours pas de la gueule du monde quand on nous assure qu'il faut voter la RIE III telle qu'on nous la propose, parce qu'il n'y a "pas d'alternative" à cette version, "pas de plan B", alors qu'on nous a expliqué en long, en large et surtout en travers que de toute façon, il va falloir égaliser les taux d'imposition des entreprises parce que l'OCDE et l'Union Européenne l'exigent Et on l'a bien comprise, l'explication : si la RIE III telle qu'elle nous est proposée est refusée, le Conseil fédéral et les Chambres devront forcément nous en proposer une autre version, mieux négociée, plus acceptable par le bon peuple, puisqu'on n'y coupera pas, à une réforme de l'imposition des entreprises. Il y a donc bien un plan B. Et des plans C, D, E, ad libitum jusqu'à Z s'il le faut.
Et peut-être bien qu'il le faudra. Parce que franchement, le plan A, celui qui nous est soumis, ne mérite que de laisser la place à un autre, qui coûte moins cher à la Confédération, aux cantons et aux communes (surtout aux villes), et qui ne soit pas comme un arbre de noël farci de cadeaux aux actuelles "sociétés à statut". Mais pour en arriver là, un premier geste s'impose. Ou plutôt un premier mot : "non" le 12 février prochain. Genre : On arrête tout avant de faire une connerie et on réfléchit avant de faire une proposition un peu plus sensée que celle qui nous est faite. Quand la question est urgente, la réponse doit se faire attendre, comme disait l'autre.

Commentaires

Articles les plus consultés