FORTA : Financer les routes ou la mobilité ?


FORTA : "Vache à lait" écrémé

Le 12 février, le bon peuple des villes, des banlieues, des campagnes et des montagnes -le peuple suisse, quoi- est appelé à voter sur ses routes. Ou pour être plus précis, sur un fonds routier de durée illimitée, le FORTA, dont le gouvernement assure qu'il va, d'un coup de baguette magique, quoique bétonnée, éliminer les bouchons sur les autoroutes et fluidifier le trafic dans les villes. Le fonds est doté de 3 milliards de francs par année, assurés par les moyens actuels de financement des routes nationales et par une surtaxe sur les huiles minérales (avec à la clef une  hausse de 4 centimes du prix de l'essence). Ce financement, réservé au fonds, va priver la caisse fédérale de 650 millions de francs de recettes annuelles (on prévoit de les compenser comment ? Par des zéconomies, pardi ! Et où les faire, les zéconomies ? Dans la formation, la culture, l'agriculture et la solidarité internationale). Ainsi constitué, le fonds  doit assurer le développement et l'entretien des routes (400 kilomètres de routes cantonales vont devenir fédérales). Il avait été présenté comme une alternative à l'initiative populaire du lobby automobile, l'initiative "vache à lait", qui voulait affecter à la route la totalité de l'impôt sur les carburants. L'initiative ayant été balayée par le peuple et les cantons, c'est au projet du FORTA qu'on a désormais affaire. Une sorte de "vache à lait écrémé". Le lobby automobile qui le trouvait insuffisant s'y est rallié (un tiens vaut mieux que deux tu ne l'as pas eu) après que son financement été revu. Seule la gauche (pas unanime, puisque des élus fédéraux socialistes  et verts appellent à voter "oui") est réticente, voire opposée à ce qui, tout de même, reste plus un cadeau à la route et au transport automobile individuel et privé qu'un financement de la mobilité.


En voyage, le trajet le plus long est le franchissement de la porte pour partir...

Le vote sur le FORTA (et contre le FORTA) n'est pas, il faut bien l'avouer, celui du 12 février qui nous mobilise le plus : le même jour, nous avons en effet au menu de la votation fédérale rien moins que le réforme de l'imposition des entreprise, saison III, épisode fédéral : cette "mère de toutes les batailles" fiscales requiert l'essentiel de nos engagements et des moyens de nos organisations -et puis, il y a aussi le projet de naturalisation un peu facilitée pour les "étrangers" (qui ne le sont plus vraiment) de la troisième génération, qu'il va falloir littéralement imposer à l'UrSchweiz pour qui être étranger est en soit un délit. Mais toute même, le FORTA trimballe un contenu, et exprime des priorités politiques, qui mérite qu'on s'y attarde un peu.

L'autre jour, une brochette d'élus socialistes et verts romands (le Vert Daniel Brélaz, les socialistes Manuel Tornare, Nuria Gorrite, Didier Berberat) appelaient, contre le mot d'ordre de leurs partis, à soutenir le fonds FORTA.  Certes, ces élus de gauche regrettent que le financement initial du FORTA, tel que proposé par le Conseil fédéral, ait été revu pour complaire au lobby automobile, mais ils estiment que la "pesée des intérêts" fait pencher la balance en faveur du fonds. Leur argument : le FORTA finance pour 390 millions les infrastructures du trafic d'agglomération (le fonds destiné au financement des projets des villes et des agglomérations est presque épuisé -sur 6 milliards, il ne reste que 200 millions), y compris celles vouées à la mobilité douce (vélo, tram, métro, train), mais aussi le développement des accès routiers dans les régions périphériques. Mais le même parlement qui a voté FORTA a coupé dans ce qui était dévolu aux la transports publics dans plusieurs programmes d’agglomération, et au bout du mécompte, la partie « agglomération » du paquet FORTA n'en représente plus, dans un premier temps, que 13%... puis plus que 9 à 12 %. Pour le développement de la mobilité douce et durable, c'est bien peu.

On peut surtout nourrir un gros, un très gros doute (qui nous conduira à voter "non") sur la nécessité de créer de nouvelles réserves pour financer de nouvelles routes et autoroutes dans un pays qui dispose de l'un des réseaux routiers (et autoroutiers) le plus dense du monde. Le FORTA accorde plus de 650 millions de francs par an à la route, et le projet soumis au vote prévoit de lui apporter 60 % du produit de l'impôt sur les huiles minérales, au lieu des 50 % actuels. Les 10 % supplémentaires accordés à la route seront pris sur la part qui jusqu'à présent revient au rail. Alors même que le gouvernement prétend toujours favoriser le "transfert modal" de la route au rail, il propose là un transfert financier du rail à la route, et donc au transport routier (qui produit plus du tiers des émissions suisses totales de CO2), alors même que  le Surveillant des prix a constaté que se déplacer en automobile devient plus avantageux que se déplacer en transports publics (même quand on resquille : le montant des amendes aussi prend l'ascenseur) : les tarifs des transports publics ont augmenté de plus de 80% depuis 1990 (on ne perçoit pas une rapidité et un confort de déplacement ascendant à ce point : :  En 1901, les trains express ne mettaient déjà que trois quarts d'heure pour relier Genève et Lausanne. En plus d'un siècle, on n'a gagné que 10 minutes...), mais le coût des déplacements en voiture n’a augmenté que de 30%.. Et avec le FORTA, les usagers de la route n'assumeraient pas les frais qu’occasionne la construction de nouvelles routes.

Bref, ce n'est pas avec le FORTA, consacré à 90 % au transport individuel et motorisé, qu'on s'engagera dans une nouvelle politique de la mobilité, privilégiant délibérément, et de manière volontariste, le rail à la route. On l'attend pourtant depuis longtemps, cette politique : En voyage, le trajet le plus long est le franchissement de la porte pour partir...

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