Forta : la Vachette à lait a eu son fourrage



La route sur son rail

La route à donc son fonds à elle, comme le rail : un fonds pérenne de plus de 3 milliards dès 2018, inscrit dans la Constitution fédérale. Et elle est bien contente, la route (même si "Les 38,1% de NON au FORTA sont un "succès d'estime" pour l'ATE) de s'être fait un rail à trois milliards. Le fonds FORTA a été accepté par le bon peuple des automobilistes, des cyclistes, des piétons et des usagers des transports publics, le même bon peuple qui avait refusé l'initiative dite "Vache à lait" du lobby routier, et qui a accepté le fonds "Vachette à lait" et son mode de financement. La gauche appelait à voter "non" au FORTA (soutenu par toute la droite) -mais sans faire réellement campagne, et en comptant dans ses rangs des partisans du projet : un comité romand de gauche appelait ouvertement à voter "oui", en expliquant privilégier le pragmatisme à des "postures militantes" : pour eux (Manuel Tornare, Daniuel Brélaz, Nuria Gorerite, entre autres), le retard des investissements routiers en Suisse romande n'autorisait pas à refuser purement et simplement le FORTA, même si son financement est critiquable : 650 millions puisés dans la caisse fédérale, en effet, c'est beaucoup, même si un dixième du fonds pourra être affecté à des projets d'agglomération, et même si la taxe sur les huiles minérales a été augmentée -mais elle pouvait l'être sans douleur, puisqu'elle n'avait pas été adaptée au renchérissement. Augmenter de 4 centimes la taxe sur le litre d'essence est une mesure totalement indolore, là où s'imposerait une augmentation bien plus importante, et dont le produit serait affecté en bien plus grande part que le FORTA le prévoit à la "mobilité douce".

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La circulation est l'organisation de l'isolement de tous"
Le trafic sur les routes nationales de Suisse a doublé en un quart de siècle. Le coût d'exploitation et d'entretien de ces routes a explosé -et nul ne se risquera à espérer que cette évolution va s'arrêter ou s'inverser, tant qu'une politique volontariste de substitution du rail à la route (et, dans les agglomérations, de la "mobilité douce" à l'automobile) n'auras pas été mise en oeuvre -or elle n'est pour l'instant surtout qu'un contenu de discours, ce dont le FORTA d'ailleurs témoigne. L'ATE, observant que "la campagne des partisans du FORTA, tout comme le résultat de la votation montrent bien que tout le monde – Parlement y compris – souhaite reconduire les efficaces programmes d'agglomérations", appelle à ne pas décevoir ces attentes. Elle devrait (et nous avec) se méfier : les belles promesses de campagne n'engagent que ceux qui y croient : Il n'avait ainsi pas fallu attendre longtemps avant que celles déversées sur les bons cons de votants pour leur faire accepter le deuxième « tube » du tunnel routier du Gothard, soient non seulement oubliées, mais même carrément piétinées, par les partisans du tube en question. Ils avaient assuré que ce n'était que pour des raisons de sécurité qu'on doublait le tunnel, et que jamais, au grand jamais, une augmentation du trafic automobile, en particulier celui des poids lourds, pourrait en être la conséquence : c'est 650'000 poids lourd par année à travers les Alpes, pas un de plus. Et voila que le vote pasé, une majorité (de droite, évidemment : PLR plus UDC)) acceptait (par une seule voix de majorité, moyennant sept abstentions) un postulat, émis par un conseiller national (le bien nommé PLR Jacques Bourgeois) qui trois jours auparavant assurait qu'on ne pouvait pas augmenter la capacité du tunnel routier du Gothard. Et qui donc a fait voter un texte demandant qu'on adapte (c'est-à-dire qu'on rehausse) le « plafond » de 650'000 poids lourds aux besoins des transporteurs routiers). Tout ça ne surprendra pas les opposants au deuxième .« tube.», qui avaient annoncé l'arnaque. Mais si ça pouvait faire réfléchir les partisans de bonne foi, qui avaient cru aux promesses du lobby routier, ça aurait une utilité. Pédagogique.

Reste qu'en moyenne (nourrissons et grabataires compris), chaque habitant de la Suisse parcourt plus de 20'000 kilomètres (la moitié de la circonférence de la Terre) chaque année. 49,6 % de cette distance parcourue l'est en bagnole, pour une part importante sur des trajets qui pourraient être parcourus par des moyens de transports moins nuisibles (à pied, à vélo, en transports publics, selon la distance, le moment et l'état physique du voyageur). Un quart de la distance annuellement parcourue l'est en avion, difficilement remplaçable sur les longues distances (comment, sinon par avion, aller se faire bronzer le cul aux Seychelles ?), mais parfaitement remplaçable par des transports publics terrestres dans bon nombre de cas (Genève-Paris ou Genève-Zurich, par exemple)... Un cinquième de la distance parcourue l'est en transports publics (train, bus, car, tram, bateaux)... et seulement un trentième (3,7 %) à pied ou à vélo. Or pour 3000 francs par an, on peut en Suisse disposer d'un abonnement général sur tous les transports publics du pays. Pour tous les déplacements prenant un temps supérieur à une heure, le train est d'ailleurs infiniment plus agréable que l'automobile, en produisant un "bilan carbone" bien moins dégradé qu'en bagnole,  ne serait-ce que parce qu'on peut se déplacer en faisant autre chose (lire, travailler, dormir même), quand en automobile on ne peut rien faire d'autre.

"La circulation est l'organisation de l'isolement de tous", suggérait déjà il y a plus d'un demi-siècle l'Internationale Situationniste... Et il nous tarde d'en sortir.

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