FORTA : Le piège


Répondre à la "pendularité" ou l'encourager ?

En prenant, sans surprise, connaissance du verdict des urnes sur le projet de fonds routier FORTA (un vote dont on n'attendait d'ailleurs pas qu'il complaise à nos attentes, même s'il se révèle moins massivement favorable quj'annoncé), il n'est peut-être pas inutile (et quand bien même ce serait...) de dire la raison fondamentale qui nous a faitvoter "non". Certes, son financement est déséquilibré (il pompe 650 millions de francs dans les caisses fédérales et ne demande qu'un effort insignifiant aux automobiles) et ce qu'il promet d'allouer à la mobilité douce est dérisoire comparé à ce qu'il allouera effectivement aux autoroutes. Mais surtout, il est la traduction concrète d'un choix politique qui porte non seulement sur la politique des transports mais aussi sur l'aménagement du territoire, la politique du logement et la politique économique, celui d'encourager à la "pendularité" entre des lieux d'habitation et des lieux de travail de plus en plus éloignés les uns des autres. On dira que la politique des transports dont témoigne FORTA répond à l'accroissement de cette "pendularité" ? En fait, elle n'y répond pas : elle la crée, l'encourage, l'étend et en allonge les temps et les distances. Elle rend possible un éloignement des lieux de travail et des lieux d'habitat, avec les coûts que cela implique, et avec la double désocialisation que cela provoque, sur chacun de ces lieux : celles et ceux qui désormais travaillent loin de là où ils habitent ne sont plus complètement socialisés dans aucun de ces lieux, et ne les connaissent plus en profondeur : "on devient mobile géographiquement, mais pas mentalement", résume le sociologue Vincent Kaufmann. Déplacé, pas inséré.


Un cercle vicieux comme un giratoire embouteillé

Insistons-y  : la politique des transports dont témoigne FORTA étend et allonge les temps et les distances du trafic pendulaire, en favorisant le transport automobile pour l'assurer, sans même forcément l'avoir délibérément et consciemment choisi. Les conséquences de cette adaptation de la politique des transports à une "pendularité" bientôt généralisée, sont, à terme, calamiteuses : les quartiers de villas, sans mixité sociale, s'étendent autour des villes, et les villes-centre concentrent les problèmes sociaux, les fragilités, les précarités et les ruptures sociales.  Or plutôt que de favoriser les déplacements pendulaires, il conviendrait de réinstaller le plus de logements possibles dans les villes (et pas autour des villes), là où il y a de l'emploi, mais aussi là où il y a toutes les infrastructures sociales et culturelles nécessaires. tous les commerces utiles, toutes les possibilités de socialisation, y compris pour la population qui n'a pas encore, n'a pas ou n'a plus d'insertion professionnelle : les enfants et les jeunes en formation, les chômeurs et les inactifs, les retraités.

Déjà, les jeunes ménages avec enfants (ou attendant d'en avoir et s'y préparant) se déplacent en grand nombre du centre des villes vers leur périphérie. En Suisse romande, outre les districts fribourgeois de la Glâne et de la Veveyse, les Broye vaudoise et fribourgeois, le Val-de-Ruz neuchâtelois et le Gros-de-Vaud, ce sont le district de Nyon et la rive-droite genevoise qui accueillent le plus de ces nouvelles familles. Or cette sorte d'"exode urbain" (encore que le district de Nyon soit en grande partie en zone urbaine, et que la rive-droite de Genève le soit, ou soit rurbaine, en quasi-totalité) engendre un surcroît de déplacement automobile, le développement des transports publics étant assez systématiquement en retard sur l'évolution des lieux d'habitat.

Prenons l'exemple genevois : l'agglomération genevoise devient multipolaire, avec cependant toujours une commune-centre (Genève) incontestable en tant que telle, doublée d'une deuxième ville à l'importance croissante : Annemasse. Cette multipolarité pourrait permettre un rééquilibrage de la répartition des activités, emplois et des logements sur l'ensemble de l'agglomération, mais on en est loin, et plus près d'un accroissement des déplacements non seulement de et vers la Ville, mais aussi de plus en plus entre les différents pôles qui l'entourent, ce qui devrait imposer un développement des transports publics ne privilégiant plus forcément le lien entre la Ville et sa périphérie, mais plutôt (sans réduire ce lien premier) entre ces périphéries.  d'ici à 2030, la population genevoise, en y incluant les zones urbanisées françaises et vaudoises frontalières, devrait s'accroître de 100'000 habitants, dont un quart en Ville de Genève. Hors de la Ville, les plus fortes augmentations de population devraient se constater dans les secteurs français de Saint-Genis-Pouilly (+ 18'000 habitants), du Chablais (+ 20'000 habitants), d'Annemasse (+ 18'000 habitants) et de Saint-Julien (+16'000 habitants). Côté vaudois, le district de Nyon devrait accueillir 20'000 habitants de plus. Le développement des transports publics devrait suivre l'évolution démographique sur l'axe d'Annemasse, avec le CEVA et la prolongation du tram, mais pas sur l'axe de Saint-Julien, qui ne bénéficie ni de tram, ni de transports public collectif efficace. Or seul 1 % du trafic transfrontalier utilise actuellement les transports publics. Pour éviter l'engorgement des voies de circulation, cette proportion devrait atteindre les 20 % tous axes confondus. Elle les atteindra sans doute sur l'axe du CEVA et du tram d'Annemasse -mais sur les autres axes ? Et puis, même si les transports publics arrivaient réellement à absorber 20 % du trafic transfrontalier sur l'axe Genève-Annemasse, il en resterait 80 % à faire absorber par le réseau routier.  Entre Annemasse et Genève, les routes de Frontenex, de Malagnou et de Chêne, vont ainsi supporter l'essentiel du trafic de transit de la région annemassienne, en attendant celui induit par une éventuelle traversée routière du Petit Lac.

Le FORTA veut financer plus de routes (à l'inverse de la volonté proclamée de favoriser le "transfert modal" de la route au rail) pour pouvoir se déplacer plus facilement du lieu de domicile au lieu de travail et au lieu de loisirs, et retour. Plus de routes, c'est plus de trafic. Plus de trafic sur les routes nécessitera, selon les défenseurs du transport routier, plus de routes. Et plus de ressources financières pour les faire et les entretenir. Le cercle est vicieux comme un giratoire embouteillé. Et après le FORTA, quoi ? un FORTA II,  FORTA III ?

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