Large victoire de Benoît Hamon à la "primaire" socialiste : Coup de sac bienvenu



Benoît Hamon a donc été désigné comme candidat du PS à l'élection présidentielle du printemps prochain, par (en gros) 60 % des suffrages, contre 40 % à Manuels Valls. Ce résultat clair, c'est celui d'un vote contre l'appareil du PS, même si Hamon avait reçu le soutien de notables socialistes, ralliés à lui entre les deux tours de la "primaire" (ou le soutenant depuis le début), et c'est une victoire des "frondeurs" et de l'aile gauche d'un parti qui sort quasi miraculé de cette "primaire". Le "coup de sac" bienvenu de la désignation de Hamon ouvre le jeu de la présidentielle, y réinstalle le PS et réinstalle le PS à gauche (il était temps). Mais elle le condamne aussi (il y a pire pensum) à devoir rassembler autour de sa candidature plus que les forces qui lui ont permis d'être désigné. Il est en meilleure position pour le faire qu'aurait pu l'être Valls, mais il est toujours flanqué sur sa droite d'un Emmanuel Macron en pleine ascension, et sur sa gauche d'un Jean-Luc Mélenchon -qui aurait d'ailleurs préféré avoir à faire à Valls plutôt qu'à Hamon. Il faut bien reconnaître que de choix, le PS français n'en a plus guère qu'entre la recomposition ou la décomposition. Cette clarification, acquise malgré lui, et largement contre lui, sera peut-être tenue pour l'un des rares legs positifs de François Hollande.

"On ne gouverne pas avec du rêve" ? Sans doute. Mais sans rêve, on ne gouverne pas, on gère.

On l'a dit et écrit, et on le répète : si c'est bien le candidat socialiste à l'élection présidentielle qui a été désigné, ce n'est pas tant la présidence de la République qui était l'enjeu de ce scrutin particulier, mais la situation du PS (car PS il y aura encore, quelque soit le résultat de son candidat ce printemps), et l'orientation politique et programmatique d'un parti actuellement désorienté et sans programme. L'avantage de prendre part à une élection présidentielle telle que la française, c'est que, par l'impact médiatique de la campagne électorale, on peut y défendre un programme, une posture, une ambition politique ne se réduisant pas à une ambition présidentielle, même si on n'a que peu de chances, ou pas de chances (ou de risque) du tout, de la remporter. Les éléments programmatiques nouveaux (dans un programme socialiste français) que Hamon a apporté lors de cette primaire (le revenu universel, le "49.3 citoyen" -autrement dit, le référendum populaire abrogatif- font débat, et cela seul est déjà un acquis. Pour le reste, la "primaire" est une sorte de pré-congrès du PS, remporté par la gauche du parti. Lors du dernier congrès, en 2015, la motion de la direction "hollandiste" l'avait largement emporté avec 70 % des délégués votant en sa faveur, et 30 % en faveur de celle de l'aile gauche (de lourds doutes planant sur la réalité de ce rapport de forces et sur la véracité du résultat). A la "primaire", la minorité est devenue majorité, et la majorité a éclaté : Martine Aubry a soutenu Hamon en appelant à lui donner les moyens de "rassembler les gauches" qu'elle se refuse à croire irréconciliables (elles ne le sont pas plus, en effet, que lorsqu'elles finissaient par se rassembler sous la houlette de l'Union de la gauche façon Mitterrand ou de la Gauche plurielle façon Jospin...) et, dans son premier discours après sa désignation comme candidat du PS, Benoît Hamon a lui aussi refusé de considérer les différences entre Valls et lui, ou entre les "réalistes" et les "utopistes", ou entre l'aile droite et l'aile gauche du PS, comme "irréductibles",

Le deuxième tour de la "primaire" opposait un homme (Hamon) qui défendait un projet, et un homme  (Valls) qui attaquait ce projet, sans en avoir un lui-même. L'homme qui défendait un projet a gagné. On peut maintenant se préoccuper de ce projet, de son contenu, de sa cohérence, de sa faisabilité (en se gardant bien d'en décréter l'impossibilité, l'histoire prenant un malin plaisir à rendre réalisable ce que l'on considérait comme délirant, du suffrage universel à la sécurité sociale -et quoi de plus "utopique" que la Déclaration des Droits de l'Homme ?). La "culture de gouvernement" qu'invoquait dans "Le Monde" un partisan de Manuel Valls (Alain Bergounioux), ça ne fait pas un projet. Et surtout pas un projet socialiste.
Le pragmatisme et l'utopie s'opposent ? Sans doute. Mais ils peuvent aussi s'additionner. Le pragmatisme sans l'utopie, ce n'est très vite plus que du cynisme. L'utopie sans le pragmatisme, ce n'est pendant très longtemps que de la branlette. Le pragmatisme comme moyen de réaliser l'utopie, et l'utopie comme légitimation du pragmatisme, c'est ce qu'on appelle, dans la tradition socialiste (au sens large, qui ne renvoie de loin pas qu'au seul PS, ni à la seule social-démocratie), un projet politique.

Valls voulait battre la droite, Hamon veut reconstruire la gauche. Il fallait choisir entre l'un et l'autre homme, alors même que l'une et l'autre volonté non seulement ne s'excluent pas, mais se conditionnent : pour battre la droite, il faut bien reconstruire la gauche, et si on reconstruit la gauche, c'est bien pour battre la droite. Reste à poser la question "pourquoi" ? Pourquoi reconstruire la gauche et battre la droite, si c'est pour qu'au final la gauche ne mène qu'une politique que la droite pourrait tout aussi bien mener ?

Dans "Le Monde", une partisane de Manuel Valls résumait son choix au nom du réalisme : "on ne gouverne pas avec du rêve". Sans doute, mais sans "rêver" à "une autre société", pourquoi la gauche devrait vouloir gouverner ? Sans rêve, on ne gouverne pas, on gère. Et pour gérer, on n'a besoin ni de gouvernants, ni de présidents, ni de partis politiques, ni d'élections, ni de démocratie. Juste de gestionnaires.
Et ça ressemble à quoi, un rêve de gestionnaire ? A quel cauchemar ou à quelle insomnie ?

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