Naturalisation facilitée des petits-enfants d'immigrés : Un peu d'air frais


Par plus de 60 % des suffrages, et par 19 cantons contre cinq (et deux demi-cantons), les Suissesses et les Suisses ont accepté la proposition de faciliter un peu la naturalisation des petits-enfants d'immigrés. Une proposition prudente, pour un vote net. Le premier vote d'"ouverture" depuis des décennies -même si l'ouverture en question ne l'a été à des gens déjà entrés nés dans un "chez nous" qui est aussi chez eux. Ce vote ne renverse pas le droit de la nationalité, il l'aménage -et dans l'ambiance actuelle, c'est déjà beaucoup.  "Bien sûr que nous aurions aimé plus" que ce qui a été finalement proposé, reconnaît Ada Marra, mais l'aurions-nous obtenu, quand on mesure la difficulté qu'il y eut déjà à faire admettre ce qui était déjà beaucoup trop pour les chamanes de la tribu. Il était temps que la Suisse cesse de fabriquer ses propres étrangers ? Pour eux, il sera toujours temps de croire que la Suissitude se transmet par le sperme, que seuls ceux qui veulent être suisses ont à prouver leur intégration à la Suisse, même quand ils sont nés, qu'ils y ont toujours vécu, que leurs parents aussi y sont nés et y ont toujours vécu. Et que la seule question qui se pose, puisqu'ils ne partiront pas, est de savoir s'ils y resteront comme les Suisses qu'ils sont, ou comme les étrangers en quoi la tribu persiste à les voir. N'empêche : dimanche, même si le vote ne portait que sur un principe constitutionnel qui implique une loi d'application (déjà prête, mais pas encore adoptée, et qui sera soumise à référendum)on a ouvert un peu la fenêtre, et un peu d'air frais est entré. On respire un peu mieux. Merci, Ada...

"Il n'est de frontière qu'on outrepasse" (Edouard Glissant)

Pas d'euphorie : on n'a pas substitué il y a deux jours le droit du sol au droit du sang (l'aurait-on fait, d'ailleurs, qu'on n'aurait que substitué une loterie à une autre : celle du lieu de la naissance à celle de la nationalité des géniteurs). Pour pouvoir bénéficier de la procédure de naturalisation facilitée que les Suisses ont acceptée dimanche (et les Romands plus massivement que leurs compatriotes alémaniques et tessinois), il faudra avoir moins de 25 ans (et plus de 9 ans), être né en Suisse, disposer d'un permis C, avoir suivi au moins cinq ans de scolarité obligatoire en Suisse (conditions devant aussi être remplies par l'un de ses parents, qui devra avoir séjourné au moins dix ans en Suisse), être le petit-fils ou la petite-fille d'un immigrant étant né en Suisse ou y ayant bénéficié d'un droit de séjour. Autant dire que ces étrangers de droit sont déjà des Suisses de fait. Mais rien ne sera automatique : il faudra toujours déposer une demande de naturalisation, et cantons et communes disposeront toujours d'un droit de recours. Le seul changement important apporté par la nouvelle procédure est le renversement du fardeau de la preuve d'intégration : on partira désormais du principe que les petits-fils ou les petites-filles des immigrants sont "intégrés" -sauf à prouver le contraire.

Actuellement, 25'000 enfants, adolescents et jeunes adultes (soit 0,3 % de la population) suisse) pourraient bénéficier de la procédure proposée -mais 40 % d'entre eux en bénéficient en fait déjà, puisque leur canton de résidence l'applique déjà pour la deuxième génération (et donc à plus forte raison la troisième)... La majorité (plus de 14'000) de ces 25'000 jeunes sont italiennes et italiens de passeport. Et la majorité des cantons prévoient déjà une procédure facilitée pour les jeunes étrangers nés en Suisse. Pour la Suisse romande (sauf le Valais), rien ne va changer. Rien n'aurait de toute façon changé non plus si le sort des urnes avait été à l'inverse de celui d'hier. Et la majorité des cantons (16) ont déjà introduit des procédures de naturalisations facilitées pour les étrangers de la deuxième ou de la troisième génération. Il s'agissait d'ailleurs aussi de mettre fin à une inégalité de traitement relevant de la loterie ou de l'arbitraire, selon le canton, voire selon la commune.

Dimanche, au moins, la réponse qui convenait a été donnée à ceux pour qui la nationalité doit continuer à relever du rite tribal, et en même temps, à ceux pour qui rien ne doit changer de ce qui se pratiquait depuis si longtemps qu'on avait fini par le sacraliser. L'a-t-on assez entendue, de la bouche même d'anciens et d'anciennes naturalisé-e-s, cette sonore ânerie négatrice de tout progrès : "J'ai dû ramer pour être naturalisé, je ne vois pas pourquoi les autres ne devraient pas passer par là où je suis passé"...
Peut-être parce que le temps aussi est passé où l'on confondait société et communauté, cité et tribu ? "Il n'est de frontière qu'on outrepasse" (Edouard Glissant)

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