Gauche française : la conjuration des ego


Ah, que la défaite sera belle...

On est bien contents : Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon vont cesser de s'insulter. Du moins en public. Mélenchon : "À cinquante jours du premier tour, il n’est pas possible de régler la différence qui par exemple nous sépare sur la question essentielle de l’Europe. Je n’ai pas été surpris qu’il me confirme sa candidature et il ne l’a pas été que je lui confirme la mienne. Nous sommes convenus d’un code de respect mutuel dans la campagne". Voila. Evidemment, ça n'engage qu'eux-mêmes. Pas leurs lieutenants, leurs porte-paroles, leurs spadassins et leurs partisans. Celui qui veut maintenir un parti socialiste en le tirant à gauche et celui qui veut faire disparaître le PS pour le remplacer par autre chose ne pouvaient évidemment pas tomber d'accord sur la candidature unique de l'un des deux. Il faut savoir se contenter de peu dans cette conjuration des egos : Hamon et Mélenchon ont promis de cesser de se traiter mutuellement et publiquement de tous les noms. En somme, ils sont passés de l'enfance à l'adolescence. Pour l'âge adulte, on verra dans cinq ans. Quand Macron se représentera pour un deuxième mandat, le spectre de Marine suffisant d'ici là à la majorité des électrices et électeurs de gauche pour les conduire à voter Macron au deuxième tour (et même, pour une partie non négligeable d'entre eux, dès le premier tour, pour éliminer Fillon. Le vote utile, en se bouchant le nez, en se fermant les yeux et en s'obturant les oreilles. Avant que chaque composante de la gauche rende les autres responsables d'une défaite non seulement annoncée par les augures, mais organisée par la gauche elle-même.


La bonne vieille coup-de-pied-au-cul-thérapie, la baffe qui ressuscite

Les soubresauts de la gauche italienne peuvent-ils inspirer la gauche française ? Ce week-end a été créé à Rome un nouveau parti, les "Démocrates et Progressistes", qui, maniant le paradoxe, se donnent pour projet la formation d'une "grande force unitaire du centre-gauche", comme si "la gauche" en tant que telle avait vécu, alors que les fondateurs du nouveau parti se situent précisément sur la gauche du Parti Démocrate au pouvoir, et qui lui aussi prétend occuper l'espace politique du "centre-gauche". Après l'explosion des deux grands partis qui structuraient la vie politique italienne depuis la Libération, la démocratie-chrétienne à droite et le Parti communiste à gauche, une partie des débris de l'une et de l'autre s'étaient coalisés et avaient finalement fusionné en 2007 dans une sorte de conglomérat dont le "social-libéral" Matteo Renzi avait pris la tête, et qu'il avait installé au pouvoir. Mais cette fusion entre l'aile gauche de la démocratie-chrétienne et l'aile droite de la gauche tenait de la chimère. Or c'est précisément à quelque chose du même genre que le mouvement d'Emmanuel Macro, "En marche", tente d'arriver, en agrégeant lui aussi la "gauche de la droite" et la "droite de la gauche". Dans les sondages, ça marche : Macron a distancé Fillon et les candidats de la gauche, et s'est rapproché de Le Pen -qu'il pourrait, si les ralliements à son panache multicolore se poursuivent, dépasser dans les intentions de vote. Ce ne sont que des sondages, mais l'hypothèse que ce qu'ils décrivent comme étant l'état de l'opinion aujourd'hui puisse se concrétiser dans deux mois n'est pas irrationnelle. Et pose la question : quel espace ce "grand centre" (Macronkentro, pour faire helléniste pédant...) laisserait-il à la gauche (mais aussi à la droite démocratique ?) s'il se concrétisait, et qui occuperait cet espace ?

Sans doute le conflit entre Hamon et Mélenchon n'est-il pas seulement la querelle de deux egos (ou de deux générations). Mais l'un et l'autre venant du PS, Hamon y étant resté pour y porter une critique de gauche depuis l'intérieur, Mélenchon l'ayant quitté pour le dénoncer de l'extérieur, les deux ayant été ministres dans des gouvernements essentiellement socialistes, chacun des deux se concevant comme le seul à pouvoir rassembler la gauche autour de sa propre candidature, il y a bien de l'ego dans tout cela. A quoi s'ajoutent les logiques d'appareils et de partis : celle du PS d'un côté, celle du PC de l'autre. Mais l'essentiel est sans doute ailleurs : dans les stratégies contradictoires de recomposition de la gauche française. Parce que si on ne tenait compte que de l'élection présidentielle, et des législatives qui suivront, l'opposition de Hamon et de Mélenchon, du PS et des "insoumis", serait d'une rare stupidité : un candidat unique de gauche ferait en effet jeu au moins égal avec les deux favoris des sondages, Le Pen et Macron. Il s'agit donc d'autre chose : le candidat socialiste et le candidat de la "gauche de la gauche" ont l'un et l'autre fait une croix sur l'élection présidentielle, et sans doute aussi sur une majorité parlementaire, issue des législative. Au moins n'ont-ils ni l'un, ni l'autre, fait une croix, une rose, une faucille ou un marteau sur la gauche, convaincus l'un et l'autre que ce printemps électoral passé, c'est à sa reconstruction qu'il va falloir s'atteler. Mais cela non plus, il est probable qu'ils n'arriveront pas à le faire ensemble, ni avec les forces politiques dont ils disposent, dans l'état où elles sont : le PS doit être complètement rénové et "gauchisé" s'il veut pouvoir encore peser quelque chose (s'il ne s'agit que de survivre comme un appendice vaguement social-démocrate d'un grand rassemblement à la Macron, il peut rester tel qu'il est et Hamon peut laisser Valls le récupérer), et des forces qui soutiennent Mélechon, il faut bien qu'émerge autre chose (pas forcément un parti politique, mais en tout cas un mouvement) qu'une fédération des fossoyeurs du PS n'ayant précisément que cette ambition necrophagique en commun.

La recomposition de la gauche française se fera donc certainement sur fonds de défaite électorale -mais s'est-elle jamais faite autrement, en d'autres circonstances ? Mitterrand ne recompose le PS (et la gauche) à sa main qu'après que le candidat du PS à la présidentielle de 1969 (Gaston Defferre) n'ait obtenu que 5 % des suffrages, moins de quatre fois moins que le candidat, stalinien pur jus, du PC (Jacques Duclos)...  c'est la bonne vieille coup-de-pied-au-cul-thérapie, la baffe qui ressuscite... même quand on a fait à peu près tout ce qu'on pouvait faire pour se la prendre dans l'urne.

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