La droite du parti socialiste suisse s'inquiète : Ciel, le PS serait à gauche !


Des représentants de l'aile droite du PS suisse ont tenu l'autre jour conférence de presse (dans l'ancienne Maison du Peuple bernoise, devenue hôtel) pour déplorer ce qu'elle considère comme une évolution "gauchisante" du PSS. Et "Le Temps" de titrer : "Les réformistes s'érigent contre un PSS "gauchisant". On en est carrément tombé des nues ou on planait doucement : le Parti socialiste suisse, "gauchisant" ? nos "sociaux-libéraux" helvétiques prendraient-ils nos désirs pour la réalité ? Et "Le Temps" de poursuivre sur le mode de la confusion des étiquettes en qualifiant l'aile droite du PSS d'"aile réformiste social-démocrate". Comme si la direction du parti, la majorité de ses assemblées de délégués, de son comité directeur, de son groupe parlementaire, étaient autre chose que, précisément, "réformistes" et "sociaux-démocrates".

Le PSS, "gauchiste" ? C'est cela, voui. Et Christian Levrat, c'est Lénine ? Et Géraldine Savary, c'est Rosa Luxemburg ?


Or donc, à en croire les représentants (Pascale Bruderer, Daniel Jositsch, Chantal Galladé, Erich Fehr, notamment)de l'aile droite du parti socialiste suisse, du moins dans la relation qu'a donnée "Le Temps" de leur conférence de presse, le parti serait traversé par un conflit au moins larvé entre une "aile réformiste social-démocrate" et une direction et des militants "gauchisants", conflit dont l'une des cristallisations serait l'inscription, dans le programme du parti, et par un congrès, de l'objectif de "dépasser le capitalisme" Le PSS, "gauchiste" ? C'est cela, voui. Et Christian Levrat, c'est Lénine ? Et Géraldine Savary, c'est Rosa Luxemburg ?  Problèmes de traduction de l'allemand au français (le PS suisse est socialiste en français et en italien, social-démocrate en allemand), ou confusion complète des références politiques ? On aimerait s'attacher à la première hypothèse, mais on craint de devoir valider la seconde. Ou celle d'une ignorance crasse de l'histoire des idées et des projets politiques.

Les "sociaux-démocrates" ne sont pas là où on croit pouvoir les désigner. Fondamentalement, historiquement, programmatiqument, le PSS est social-démocrate, attaché aux trois piliers de la social-démocratie : l'Etat social, l'Etat de droit, la démocratie politique. Il ne lui arrive d'aller au-delà de cette adhésion à la social-démocratie et au réformisme qu'en de rares moments de rhétorique éruptive, à la seule exception de sa co-responsabilité dans le déclenchement de la Grève Générale de 1918 (dont le cahier de revendication après tout relevait lui-même du réformisme). Même le "dépassement du capitalisme" dont l'inscription dans le programme actuel du parti révulse son aile droite tient de la tradition social-démocrate, celle de Kautsky comme celle de Blum -non le renversement du capitalisme, mais son dépassement. Comme le capitalisme lui-même a "dépassé" les modes de production qui le précédaient. Le "renégat", dans l'histoire de la social-démocratie, ce n'est pas Kautsky, c'est Lénine. Et le PS suisse, franchement, n'a pas grand chose de léniniste.

Les sociaux-démocrates au sein du PSS ne sont donc pas ceux qui dénoncent une "dérive gauchiste" du parti -dérive gauchiste relevant du fantasme. Ceux-là participent de ce qu'on désigne désormais comme le "social-libéralisme", qu'il s'agisse du "social-libéralisme" inassumé (et inassouvi de Hollande et Valls) ou de celui, assumé, après Blair et Schröder, de Matteo Renzi. Un "social-libéralisme qui a conduit leurs partis respectifs au bord de la scission dans le cas français, franchement à la scission dans le cas italien. En Suisse, l'aile droite du PS, qui revendique 800 membres, presque tous alémaniques, est plus prudente : son document de référence ne se veut pas un manifeste, le courant lui-même ne se veut pas une dissidence, son objectif est de peser sur les débats programmatiques et stratégiques, être un "contrepoids au sein du parti" (mais un contrepoids à quoi ? à un "gauchisme" imaginaire ?), en exprimant la certitude que "l'image du PS dans la population est (défavorablement) influencée par le courant gauchisant"supposé dominer le parti, et par sa "rhétorique de combat" qui "irrite et démotive beaucoup de gens prêts à s'engager". Or il se trouve que, passée la médiocrité des résultats du PS lors des élections fédérales de 2015, et sans même évoquer le succès du référendum contre la réforme de l'imposition des entreprises, les bons résultats socialistes lors des élections cantonales suivantes, dès l'automne 2016 à Bâle et en Argovie, confirment une tendance assez lourde : celle d'un fort ancrage du PS dans les villes, compensant son recul dans les campagnes et, en Suisse alémanique, dans les banlieues (quoiqu'en Argovie, le PS ait aussi progressé dans les arrondissements les plus à droite, en prenant des électeurs au PDC et au PBD). Selon le politologue Claude Longchamp, des électeurs centristes sont passés au PS à cause de la remise en cause par la droite d'acquis sociaux comme l'AVS à 65 ans, ou les prestations du 2e Pilier... La discours et le programme d'un PS plus "à gauche" qu'il conviendrait pour calmer son aile droite ne l'a donc pas empêché de gagner des soutiens "au centre".

L'ancien patron des CFF, Benedikt Weibel, a apporté son soutien à l'aile droite du PSS en le résumant par une profession de foi qui résume du même coup la confusion en laquelle cette aile droite semble plongée, à moins qu'elle n'ait choisi délibérément de l'entretenir : "je suis social-démocrate et pas socialiste". Y'a-t-il quelqu'un dans la salle pour expliquer à ces braves gens que la social-démocratie est un courant constitutif du socialisme et que le socialisme est le projet de la social-démocratie, et que se battre pour des étiquettes a peut-être un sens dans le commerce détail mais aucun dans le débat des idées et des projets politiques ?
A supposer, il est vrai, que projet politique il y ait...

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