Naturalisations : La fabrique genevoise d'Helvètes

Suisses de souche et Suisses de choix

La population résidente (les "sans-papiers" n'en faisant évidemment pas partie, et ils sont au moins 13'000...) du canton de Genève a augmenté de 3128 habitants en 2016, contre 8000 en 2015. Elle s'établissait il y a deux mois et des poussières à 493'706 habitants, dont 40,5 % d'étrangers, un pourcentage bas du fait des plus nombreuses naturalisations effectuées en 2016, par une "véritable volonté politique" d'accélérer les procédures et de rattraper les dossiers en attente. Le Conseiller d'Etat Pierre Maudet, en charge des naturalisations, s'est félicité d'avoir "fait beaucoup de Suisses". Moins d'étrangers sont venus s'installer (légalement) à Genève, plus d'étrangers installés se sont fait Suisses ? les xénophobes locaux vont peut-être moins hurler contre les étrangers, mais ce ne sera que pour couiner un peu plus contre les nouveaux Suisses pas vraiment Suisses, contre les Suisses de choix et pas de souche, ou pas de souche assez ancienne. Et contre les étrangers "sans-papiers" qui vont devenir des étrangers "avec papiers" (enfer...), et peut-être même, un jour, être naturalisés genevois et suisses (enfer et damnation...)


Ce sont les Etats qui ont besoin de frontières, pas les nations

Sonore ânerie de Trump : "les nations ont besoin de frontières"...
comme si la nation et l'Etat étaient synonymes, comme si la nation ne préexistait pas à l'Etat. Ce sont les Etats qui ont besoin de frontières (et les tribus qui ont besoin du "droit du sang"), pour contrôler un espace et la population qui l'habite. Les nations n'ont pas besoin de frontières mais d'une culture commune, de références symboliques communes, d'une histoire commune, d'une volonté commune : elles en naissent. On n'est pas d'une nation parce que qu'on est à l'intérieur des frontières d'un Etat, ni parce qu'on naît de géniteurs qui y sont : on est d'une nation parce qu'on participe de cette culture, de ses références, de cette histoire, fût-ce pour en faire une relecture critique. On est d'une nation quand on est d'une communauté de culture fondée sur une communauté de destin, pour parler comme Otto Bauer. Ainsi la frontière n'est-elle rien pour la nation : une clôture vaut pour du bétail, pas pour des citoyens.
Mais les mots sont trompeurs : on dira qu'on a la "nationalité" d'un Etat, quand on en a le droit de cité, qui, dans un pays qui pratique le "droit du sang", s'acquiert surtout par héritage parental, et donc "automatiquement", et n'est qu'octroyé par naturalisation, éventuellement. Ce n'est toutefois qu'après la Grande Guerre de 1914-1918, que la Suisse s'est mise a durcir son droit en matière d'acquisition de la nationalité, et à se rallier au "droit du sang" à l'allemande.

En 2016, 6 235 étrangers résidant dans le canton de Genève ont acquis la nationalité suisse, dont 5 537 par naturalisation ordinaire, 661 par naturalisation facilitée et 33 par adoption (enfants étrangers mineurs adoptés par un citoyen suisse). C'est seulement la deuxième fois après 2006 que le nombre de naturalisations dépasse le cap des 6 000 personnes. Le nombre de naturalisations était déjà élevé en 2015 (5 971, soit plus du double que l'année précédente. Ce mouvement est largement imputable à la révision de la loi sur la nationalité, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018 et qui rendra plus contraignante l’obtention de la nationalité suisse, mais il l'est aussi par un choix délibéré des autorités cantonales d'accélérer les procédures dans tous les cas où c'est possible, et d'autre part d'informer les résidents de nationalité étrangères des conditions qui seront bientôt imposées à l'obtention du label d'helvétitude.

La plupart des cantons et des communes suisses sont sortis du grotesque modèle des "Schweizermacher" allant vérifier la couleur des sacs poubelles et le dépoussiérage des meubles des candidats à la naturalisation pour en déduire leur degré d'intégration. L'UDC continue pourtant de distinguer, dans la vision (pour elle apocalyptique) d'une Suisse de 10 millions d'habitants en 2030, les "Suisses de naissance", les "naturalisés" et les "étrangers", oubliant sciemment qu'il n'y a pas, en droit, de différence entre un  Suisse de naissance et un Suisse par naturalisation. Il est vrai que le même parti avait auparavant distingué les Alémaniques des Romands, comme on distingue les "vrais Suisses" des Suisses par raccroc, à la conscience nationale défaillante. L'ex-vice-président de l'UDC, le roboratif Claude-Alain Voiblet, en avait rajouté une couche en accusant les "communes de gauche" d'accorder "trop souvent la naturalisation à des personnes qui ne sont pas intégrées". Or le système et la procédure suisses de naturalisations sont parmi les plus sévères, les plus tatillonnes, les plus exigeantes d'Europe... Mais franchement, on voit mal en quoi on devrait, Genevois, se sentir plus proches, partager plus de valeurs, avec un berger appenzellois qu'avec un copain d'école algérien (l'inverse valant pour le berger). Et en quoi on devrait se sentir bernois parce que son grand-père l'était, alors qu'on est né à Genève, qu'on y a grandi, mûri, vieilli, travaillé pendant cinquante ans, sévi pendant plus de soixante ans... Avec même la ferme intention d'y sévir encore une bonne vingtaine d'années. Au moins.

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