Présidentielle française : Pas Dumas, Molière...


On a cru, il y a quelques jours, pouvoir résumer la campagne présidentielle française en une sorte de succédané des "Trois Mousquetaires". C'était improbable : on faisait déjà beaucoup d'honneur à Fillon en lui attribuant le personnage d'Athos, et on n'avait trouvé personne pour incarner Porthos. En fait, on est peut-être moins dans un succédané de Dumas que dans un ersatz de Molière. Avec au moins un Avare (mis en examen), et sans doute aussi un Misanthrope, un Bourgeois Gentilhomme, une portée de Tartuffe, quelques Scapin, beaucoup de malades pas imaginaires du tout, de précieux ridicules, de femmes pas savantes et de médecins malgré la médecine. On n'est en tout cas pas dans le rendez-vous politique que devrait être une présidentielle française, dans le régime républicano-monarchique de la Ve République. Il est vrai que De Gaulle, insoupçonnable quant à son honnêteté (mais pas quant à son cynisme : le SAC et les barbouzes faisaient le sale boulot) se l'était taillé à sa stature, pas à celle des pignoufs qui se réclament encore de lui, ni à celle des héritiers, avoués ou non, de Mitterrand.

Et pendant ce temps, la gauche joue à qui perd... perd

Pendant que Le Pen et Macron caracolent en tête des sondages et que Fillon rame pour ne pas être largué dans les urnes après avoir été inculpé notamment pour "détournement de fonds publics (comme disait Alain Juppé, "En matière judiciaire, mieux vaut avoir un passé qu'un avenir"),la gauche française -dont les candidats, ensemble, ne rassemblent plus qu'un petit tiers des intentions de vote, ce qui suffirait certes à une candidature unique pour se qualifier mais pas pour l'emporter, cultive le luxuriant jardin de ses états d'âmes et de ses divisions. Le candidat du principal parti de gauche, le PS, plafonne en dessous de 15 %, à un ou deux points du candidat de l'agglomérat de la "gauche de la gauche", dans un espace politique congru et un espace médiatique submergé par les aventures judiciaires du candidat de la droite démocratique. Le débat de fond, sur les projets, sur les cultures politiques, sur les grands enjeux, ne se fait pas -sauf à le réduire aux invectives lepénistes ou aux brouillards macroniens.
La droite traditionnelle s'est quant à elle rangée derrière Fillon, toutes arrière-pensées remisées au placard en attendant le résultat du premier tour, et les centristes de l'UDI qui voulaient changer de candidat ont rejoint les fillonistes en échange de quelques circonscriptions aux législatives qui suivront la présidentielle. De quoi nourrir l'antiparlementarisme traditionnel d'une bonne partie de l'opinion publique française. Et y conforter le vieux mépris, populiste ou anarchiste, à l'égard des institutions politiques existantes, quelles qu'elles soient. Il faut bien avouer que Fillon, en commençant sa campagne en moraliste avec pour slogan "le courage de la vérité", en se envoyant à Sarkozy un féroce "imagine-t-on le général De Gaulle mis en examen" et en la continuant en inculpé de détournement de fonds publics après avoir annoncé qu'il se retirerait s'il était inculpé, a fait le lit de ce bon vieux populisme-là. Il ne manquerait plus qu'il arrive finalement à se qualifier pour le second tour et à faire face à Marine Le Pen : c'est probablement le mieux que celle-ci puisse souhaiter, quelques casseroles qu'elle ait elle aussi à trimballer.

Tout suggère donc que la gauche sera absente du deuxième tour de la présidentielle française. Par sa faute. Largement vainqueur de la "primaire" du PS et de ses alliés, Benoît Hamon a commencé par perdre des semaines à négocier le ralliement des Verts -en en perdant une partie, au profit d'Emmanuel Macron, et à tenir un dialogue de sourd avec Jean-Luc Mélenchon, pendant que cédant à l'attrait de la mangeoire, à l'appel des sondages et à l'envie de se venger de sa défaite, l'aile droite du PS s'apprêtait elle aussi à passer dans le camp de Macron. Quant à son projet, Hamon l'a édulcoré, notamment en ce qui concerne celui de revenu universel, alors même que c'était l'originalité de ce projet, la différence qu'il exprimait et la critique qu'il contenait de la politique menée par le PS, le gouvernement de Valls et la présidence de Hollande, qui lui avait permis de sortir vainqueur de la primaire.
Tant de maladresses tactiques, d'erreurs stratégiques et d'indécisions programmatiques interrogent : Dans l'une de ses dernières réunions de campagne, Marine Le Pen n'avait-elle pas pleinement raison de se foutre de la gueule de la gauche française ?

Benoît Hamon a construit sa victoire à la "primaire" de la gauche sur le concept de "futur désirable" -autrement dit, en remontant l'histoire du socialisme jusqu'à Cabet et Fourier, jusqu'à l'espérance de la société idéale, en faisant lui-même, délibérément, l'impasse sur une élection présidentielle dont il sait (comme Mélenchon) qu'il n'a quasiment aucune chance de la remporter, et dont il sait aussi (comme Mélenchon) qu'elle n'est nullement la clef d'un changement radical de politique -sauf à choisir d'en faire un "moment révolutionnaire" (ce qu'à sa manière promet Marine Le Pen, qui sait pertinemment qu'elle ne tiendra pas cette promesse-là). Mais quel "futur désirable" les candidats de la gauche française à la présidentielle assurent-ils à cette gauche, toutes familles confondues ? En tout cas, cinq ans d'opposition, pour se refaire une santé. Une sorte de thérapie, quoi.
On conviendra au moins que le besoin s'en fait sentir. Et que la gauche n'a rien à y perdre, puisque ce qu'elle pouvait perdre, elle l'a déjà perdu. En étant au pouvoir. La droite socialiste ne pense qu'au présent et aux législatives, la gauche socialiste en a fait son deuil et rêve d'avenir (désirable) ? Vivement 2022.

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