Régularisation des sans-papiers genevois : L'UDC, un Papyrus dans le nez


L'UDC a un Papyrus dans le nez : les deux udécistes genevois du Conseil National, Céline Amaudruz et Yves Nidegger, ont déposé une initiative parlementaire pour ôter aux cantons toute autonomie dans l'application de la loi fédérale sur le séjour des étrangers. But de l'exercice : empêcher Genève de régulariser des sans-papiers, comme le canton a commencé de le faire en initiant avec l'opération "Papyrus" une procédure, dans le cadre de la loi, avec les organisations d'entraide et les syndicats. Céline Amaudruz se désolait : "Pierre Maudet a trouvé une astuce pour contourner la loi". Foutaise : il ne s'agit que de l'appliquer dans les limites qu'elle donne, en régularisant celles et ceux qui peuvent l'être, au cas par cas, en fonction de critères objectifs et rigoureux. Faut pas confondre les conseillers d'Etat PLR avec des automobilistes UDC bourrées zigzagant pour éviter la police. Reste que la question se pose, insidieuse : pourquoi diable l'UDC (mais pas elle seule : la majorité des députés vaudois a refusé de tenter une démarche comparable à la genevoise) tient-elle à ce point à ce que des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs dans ce pays soient sous-payés, sous-protégés, incontrôlés, et ne paient ni cotisations sociales ni impôts ?

Faire la chasse aux "sans-papiers" ou à leurs exploiteurs ?

L'expérience genevoise ("Papyrus") de régularisation d'une partie des "sans-papiers" du canton risque bien de n'être qu'une heureuse exception en Suisse : quand l'existence même du problème des travailleuses et travailleurs sans statut légal n'est pas purement et simplement niée, la volonté politique d'en tenter la résolution est absente, ou combattue -comme on vient de le voir au Grand Conseil vaudois, et comme on le voit dans la démarche des udécistes genevois au parlement fédéral. L'expérience "Papyrus" a pourtant bien été validée par les autorités fédérales, mais cette validation fait précisément suite à une initiative cantonale : le Secrétariat d'Etat aux migrations confirme que "l'impulsion pour un tel projet doit venir des cantons". Or même si, lorsque Pierre Maudet a présenté son projet à ses collègues directeurs cantonaux de Justice et Police, nombre d'entre eux ont salué ce projet, et que la plupart des autres l'ont au moins accueilli avec bienveillance, aucun canton n'a à ce jour pris une initiative comparable.

Il n'y a pourtant dans cette expérience ni régularisation sans condition (les conditions sont nombreuses et impératives), ni régularisation collective (chaque cas est examiné individuellement), ni négation du problème, bien au contraire : le problème est qu'il y a à Genève 13'000 personnes qui travaillent (pour des salaires relevant du dumping), hors de tout contrôle, sans payer de cotisations sociales ni d'impôts. Ce sont ceux qui en refusent la régularisation qui nient le problème (ou s'en nourrissent). Pour user d'un argument dont l'utilitarisme est à la limite du cynisme, mais qui est à peu près le seul que l'udéciste ou le leghiste ou le èmecégiste de base puisse comprendre : si on ne tient compte que des Suisses, sans tenir compte des immigrés, il n'y a plus que deux à trois actifs pour un retraité dans ce pays, et c'est plus qu'insuffisant pour assurer le financement des assurances sociales (à commencer par l'AVS et l'AI). Les nains de jardins du tribalisme xénophobe devraient se souvenir qu'il y a à Genève des milliers, et en Suisse des dizaines de milliers, de travailleuses et travailleurs (actives et actives, donc) "sans papier" qui cotiseront, et payeront des impôts, quand ils seront régularisés -ce qui ne devrait certes pas être l'argument décisif pour leur régularisation -mais on est en Suisse, et en 2017...

Cette régularisation ne pose aucun problème matériel : les sans-papiers ne sont pas des clandestins. Repérés, recensés, enregistrés, ils sont certes sans-statut légal, mais ceux qui peuvent être régularisés ont un emploi, sont indépendants financièrement, habitent à Genève depuis au moins cinq ans, maîtrisent le français, ont un casier judiciaire vierge. Et s'ils ont des enfants d'âge scolaire, ces enfants vont à l'école. Or selon les responsables des permanences d'information tenues par les syndicats SIT et Unia, par le Centre social protestant et l'Entraide protestante, seul un tiers des personnes (800 en une semaine, ce qui, rapporté aux 13'000 "sans-papiers" estimés à Genève, correspondrait à environ 4000 régularisations possibles) qui ont été reçues remplissent les conditions d'une régularisation -ce qui, a contrario, dément le fantasme (à supposer qu'un fantasme puisse être démenti) d'une régularisation massive, automatique, inconditionnelle. Mais ce qui pose aussi la question : et les autres ? les deux tiers, qui ne peuvent pas être régularisés, comme les requérants d'asile déboutés, les ressortissants de l'Union européenne ou ceux qui ont commis une infraction bénigne ? Resteront-ils et elles dans la situation de précarité, de menace constante d'être renvoyés, qui est la leur ? Continueront-ils et elles de travailler pour des salaires de misère, sans protection sociale ?

Reste que Papyrus est une avancée considérable : d'abord parce que l'opération genevoise affronte ouvertement un problème face auquel ailleurs l'attitude politique tient le plus souvent du déni : le problème de l'exploitation d'une main d'oeuvre corvéable par un secteur incontrôlé, celui de l'économie domestique (où les employeurs sont des particuliers, parfois sous immunité diplomatique), et des secteurs insuffisamment contrôlés, ceux de l'hôtellerie et de la restauration et de l'agriculture. Ensuite, parce que pour la première fois (sauf erreur de notre part) la durée d'un séjour illégal est légalement prise en compte pour l'obtention d'un permis légal, et que d'une certaine manière, on invente à Genève, par les conditions qu'on pose à la régularisation des "sans-papiers", une définition légale de leur non-statut. Enfin, parce que des milliers de travailleuses et de travailleurs bien réels pourraient en bénéficier -l'enjeu consistant à ce que celles et ceux qui seront régularisés ne soient pas remplacés par de nouveaux "sans-papiers". Or pour l'éviter, ce n'est pas à la chasse aux "sans-papiers" qu'il va falloir se livrer, mais à celle de leurs exploiteurs.
Ne serait-ce pas cela, précisément, que craignent les contempteurs udécistes de l'opération "Papyrus" ?

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