USA : 65 jours de présidence donaldesque


Politique du pitre

Donc, Donald est président depuis deux mois et des poussières. Sa présidence, il l'avait entamée en multipliant les vitupérations, les menaces, les bouderies, les accusations complotistes, toutes manifestations ne faisant que reproduire celles dont sa campagne électorale avait été tissée -sauf qu'il est président, et non plus seulement candidat. Et que dès qu'il s'est agi, non plus de prendre des postures de chef de gang et de tenir des propos de tenancier de bordel, mais de commencer à réaliser son programme, ses prétentions de décisions se sont lourdement heurtées au mur des institutions, de la légalité, des réalités et des rapports de force. Dernier exemple en date : l'échec de sa tentative d'abroger l'"Obamacare", le système d'assurance-maladie (d'ailleurs imparfait, mais suppléant à un vide social inimaginable dans nos contrées), après l'échec de sa tentative d'interdire à des ressortissants de pays à majorité musulmane d'entrer aux Etats-Unis, la démission forcée de son Conseiller à la sécurité nationale après qu'il ait été avéré qu'il avait été payé par la Russie et la Turquie, la constatation de la vacuité de ses accusations de fraude électorale ou de mise sur écoute. Restent toutefois dans la colonne assez exsangue des succès, quelques nominations symboliques de représentants de l'extrême-droite raciste (comme celle de Steve Bannon au Conseil national de Sécurité), et le soutien sans faille du "coeur" de son électorat (qui considère certes que son héros avance souvent ou très souvent des affirmations sans preuves", mais le lui pardonne). Peut-on, optimistes que nous sommes, en déduire que son programme de promotion d'une Amérique blanche, chrétienne, conservatrice et patriarcale, par discrimination de toutes les catégories sociales et culturelles, dt tous les comportements et de tous les groupes humains, qui ne correspondent pas à ce stéréotype, tient désormais du pur fantasme irréalisable ? Un peu de prudence est de mise : le pire n'est certes jamais sûr, mais jamais non plus exclu.


"Je suis le seul à pouvoir régler les problèmes à Washington"

"Je suis le seul à pouvoir régler les problèmes à Washington", avait psalmodié Trump pendant toute sa campagne. Disons qu'il ne prend pas le chemin de régler un seul des "problèmes", réels ou imaginaires, qu'il proclamait vouloir et pouvoir régler. Et surtout pas le principal problème qui se pose désormais "à Washington" : celui de l'élection à la présidence de l'encore première puissance mondiale d'un individu hors d'état d'en assumer la charge (grand bien fasse d'ailleurs aux puissances concurrentes). Hors d'état politique, compte tenu de la profonde division de sa propre majorité (à côté de laquelle le PS français pourrait passer pour un exemple d'unicité monolithique), mais peut-être même hors d'état mental.

Trump, cinglé ? La question se pose. Et Trump, fasciste, comme il nous arrive de l'entendre ? Le grand historien du fascisme (notamment de sa version française, vichyste) Robert Paxton répond : ne confondons pas tout, n'utilisons pas n'importe quel disqualificatif politique pour désigner nos adversaires. L'objectif de Trump et de sa majorité parlementaire n'est pas une révolution réactionnaire, comme le fascisme et ses succédanés (le nazisme, le franquisme etc...) la tentèrent. Il est plus modeste, plus rationnel : il est, outre de s'installer au pouvoir, quelque usage politique que l'on puisse en faire, surtout de démanteler les législations qui gênent les entreprises et les couches les plus riches de la population, en particulier les législations sur le travail, sur l'environnement et la fiscalité. Dans tous ces domaines, le trumpisme est assez fondamentalement libéral, quand le fascisme est tout aussi fondamentalement étatiste. Evidemment, sur d'autres terrains, d'autres enjeux, des parentés peuvent effrayer : le discours sur le déclin national, le renforcement de l'Etat face aux autres Etats, le mépris des traités internationaux et du droit international, le renforcement de la production d'armes et de matériels militaires. Sans omettre les relents de xénophobie, de racisme, d'homophobie, de mysogynie. Ni la séduction exercée par tout cela auprès des couches sociales les plus fragilisées, les plus précarisées, pour autant qu'elles soient indigènes -mais pas trop quand même : "l'Amérique aux Américains" ne signifie pas qu'on va la rendre aux Amérindiens... Et Trump s'est tout de même entouré, outre de sa propre famille, de spadassins d'extrême-droite, comme Bannon et Miller. Bref, si le trumpisme n'est pas du fascisme, il est, selon le raccourci de Paxton, une "ploutocratie". Il est, au même titre qu'un Madoff (plus policé) le produit d'une époque marquée par la vénalité, la frime, la brutalité. Madoff a perdu, Trump a gagné.

Les artistes des "musiques urbaines" américaines, dont nombre avaient vu en Trump une sorte de modèle de "héros américain", fruste mais authentique, se mobilisent désormais contre lui, s'apercevant -un peu tard, sans doute- de ce qu'il exhale, ou du moins de ce qu'il permet à d'autres d'exhaler en son nom : un nationalisme agressif et raciste, une homophobie et un sexisme à fleur de couenne, et un maladif déni de réalité. Bruce Springsteen, qui n'est pas du vivier des années fric et frime, appelle à entrer "en résistance". Lady Gaga, qui est bien, elle, l'héritière de ces années, manifeste contre Trump -à qui les Rolling Stones et Neil Young dénient le droit d'utiliser leurs chansons de quelque manière que ce soit. Il est vrai cependant que cette opposition, comme celle d'Hollywood, ou des intellectuels de la côte est, n'atteint que celles et ceux pour qui, déjà, "Trump is not my President". En revanche, pour le "coeur" de l'électorat de Donald, il est toujours le héros et le héraut pour l'élection duquel on avait voté, et pourrait encore voter (Trump évoque lui-même la possibilité de se représenter pour un nouveau mandat, une fois l'actuel achevé).

Reste évidemment à savoir si ce premier mandat, il l'achèvera à la Maison Blanche ou dans une clinique spécialisée.

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